« Une année, un film » : A l’Ouest, rien de nouveau, réalisé par Lewis Milestone, sorti le 21 novembre 1930.

Nous voici en Allemagne, en 1914. La Première Guerre Mondiale est déclarée. Les premiers soldats partent au front, fusil à la main, grand sourire aux lèvres, défilant en rythme devant la foule qui exulte face à leurs héros, et déjà pressés de les voir revenir victorieux. Dans une école, un professeur harangue ses élèves en leur livrant un discours vantant les intérêts de la guerre et la nécessité de partir défendre la patrie. Les jeunes élèves sont d’abord hésitants, puis certains finissent par se dévouer, plein d’enthousiasme, pour s’engager dans l’armée. Les autres vont rapidement suivre le mouvement. Ces jeunes soldats vont alors découvrir la réalité du front, qui revêt une apparence toute autre que l’image de combat noble vantée par le professeur.

Nous serons d’accord pour dire que les films de guerre sont légion, et ont généralement le même type d’intrigue. Ainsi, il est bon de remettre ce film dans son contexte pour ne pas le considérer comme un film de guerre comme les autres. Nous sommes en 1930, le cinéma parlant n’en est encore qu’à ses débuts, mais multiplie les possibilités de réalisation. Ce n’est pas le premier film à parler de la guerre, mais il est bien l’un des premiers d’une longue lignée.

Dans ce film, tout n’est que désillusion et dénonciation. Nous suivons ces jeunes hommes fougueux, qui sont envoyés au front, en France, et sont très rapidement confrontés aux réalités de la guerre : manque de nourriture, désorganisation totale, l’alerte perpétuelle due aux bombardements, etc. Leur enthousiasme est vite stoppé par les balles et les obus des français et des britanniques. Certains s’en sortent, d’autres sont tués sur le champ de bataille, et d’autres encore sont envoyés dans des hospices bondés et en pénurie de docteurs.

L’un des points essentiels de ce film réside dans le message pacifiste qu’il transmet, à l’instar du roman éponyme d’Erich Maria Remarque, publié en 1929. Dans leur malheur et leur peur, les jeunes soldats allemands se rendent compte qu’ils sont dans la même galère que leurs ennemis. Ainsi, ils comprennent que les soldats en face ne sont pas des hommes venus tuer d’autres hommes, mais qu’il s’agit bien d’une situation subie par tous ces soldats. En effet, cette guerre a été voulue et est menée par des dirigeants qui ne participent pas activement aux combats. Le professeur qui intervient au début du film est la représentation de ce détachement des dirigeants vis-à-vis de la réalité de la guerre.

Il est bon de souligner que cette réalité est retranscrite par une excellente réalisation qui ne laisse rien au hasard. Les scènes de bataille sont impressionnants, donnant l’impression d’être sur un véritable champ de bataille, avec, entre autres, l’utilisation de travellings accentuant l’impression de panique qui habitent les soldats, qui se ruent pour éviter les explosions et les tirs. Le réalisateur fait également appel à d’autres procédés pour alimenter le climat oppressant et horrifique de la guerre : des gros plans, des contre-champs, rien n’est laissé au hasard. L’autre point intéressant de ce film est de voir les soldats allemands dans le rôle des héros et non pas des antagonistes comme on a l’habitude de le voir dans les films de guerre majeurs. En faisant ce choix, l’auteur (puisqu’il s’agit d’un livre à la base) a voulu montrer que l' »ennemi » allemand n’était pas différent du camp adverse, et qu’il ne s’agit pas de peuples qui s’entre-déchirent, mais bien de politiques et de conflits d’intérêts concernant une bien faible minorité.

Ce film est un véritable classique du genre du film de guerre. Nous y retrouvons tous les ingrédients nécessaires à la réussite d’un tel film. Cependant, celui-ci délivre un message très fort de se distingue par rapport à la grande majorité de ses successeurs, en racontant l’histoire d’un contingent de soldats allemands lors de la Première Guerre Mondiale, et en proposant un rendu très réaliste pour l’époque. Ensuite, c’est un film hautement symbolique, qui dégage une puissance que j’ai rarement autant ressenti devant d’autres films de guerre. Sa postérité n’est, à mes yeux, pas suffisante tant il est efficace et déstabilisant. C’est un film que je conseille vivement aux amateurs du genre, et même aux autres.

Aparté concernant la scène de fin (SPOILER)

Si j’ai dit que la symbolique était au cœur de ce film, cela se révèle une ultime fois lors de la toute dernière scène. Après être brièvement rentré en permission, Paul, notre héros, décide de revenir en avance au front, ne trouvant plus de sens à sa vie que sur le champ de bataille. Lors des tous derniers instants de la guerre, Paul se trouve dans une tranchée, il attend. Par la meurtrière qui lui permet de guetter le camp ennemi, il voit un papillon qui se pose sur le sol, mention à la collection de papillons qu’il a amassée chez lui avec sa femme. Dans un instant d’insouciance, Paul oublie tout ce qui l’entoure, notamment le soldat français qui guette en face. Au moment de s’approcher du papillon, Paul est abattu d’une balle dans la tête, et le film s’achève ainsi. Il s’agit d’un ultime message envoyé aux artisans de la guerre, dénonçant sa stupidité et la déshumanisation des millions d’hommes qui ont été envoyé sur le champ de bataille. Cruel dénouement visant à rappeler que, à l’instar de la phrase de Plaute « l’homme est un loup pour l’homme », mais qu’il ne doit surtout pas oublier qu’il est un homme, comme tous les autres.

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le 1 févr. 2015

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