Cette critique contient beaucoup de spoilers.


Dans “a la folie”, Wang Bing filme le quotidien de patients dans un hôpital psychiatrique du sud-ouest de la Chine. Une cinquantaine d’hommes enfermés vivent dans ce lieu insalubre, comme des animaux, l’enfer sur terre.


Une prison, un long couloir en rond cerclé de barreaux avec cette cour intérieure, cour à laquelle ils n’ont pas accès. Une succession de chambres miteuses et insalubres.
Assez rapidement, on commence à ressentir un certain malaise. Alors que certains ont clairement des pathologies sévères, d’autres n’ont pas vraiment l’air d'être la a cause d’une quelconque maladie mentale. Tous semblent brisés, oui ils sont bourrés de médocs et de très lourds traitements, oui certains sont là depuis des années voire des décennies, mais n’est ce pas ca au final qui leur a fait perdre la raison?
Ce questionnement assez rapide m’a fait faire une petite pause dans le visionnage car je connaissais mal le sujet. Il ne m’a pas fallu une très longue recherche pour comprendre que mes doutes étaient justifiés, nombreux sont les opposants politiques encore envoyés dans des hôpitaux psychiatriques en Chine et tant d’autres. Se côtoient alors psychopathes, personnes avec de lourds troubles mentaux, d’autres avec des troubles plus légers mais aussi des opposants politiques ou des personnes qui ont critiqué l’ordre établi, certains citoyens ayant découvert la corruption des autorités dans leur petits villages par exemple, voulant dénoncer des injustices, des hommes (ou des femmes qui sont séparées a l'étage du dessous mais elles ne sont pas l'objet de ce docu) qui ont simplement trop parlé. On parle aussi d’hommes internés pour de simples bagarres. Ce dernier point est d’ailleurs mentionné par un des patients dans le docu (pour le reste, la situation est connue des ONG…). Des minorités religieuses aussi, musulmanes par exemple. D’ailleurs le seul musulman dans le docu semble être comme “mis” la sans raison, on se demande ce qu’il fait la, il n’est pas a sa place (même si évidemment au vue de l’enfer de ce lieu, personne n’a sa place dans un tel endroit), il a été interné a cause de sa religion, ca paraît assez évident. Tout ce petit monde est donc mélangé, Wang Bing nous laissera deviner qui est malade, qui ne l'est pas ou ne l'était pas vraiment. Les seules indications qu’il nous donnera sont les noms et la durée de l’internement. Mais est-ce si important au final? tous partagent la même condition, qu’ils soient réellement malades ou non. Tous, au fil du temps, a cause des traitements et des conditions de vie, vont sombrer, s’ils n'étaient pas malade en rentrant, ils le deviendront…


On sent une différence notable entre les nouveaux pensionnaires et les anciens: les nouveaux qui crient leur détresse et leur injustice de se retrouver dans cet endroit, certains vont se rebeller, être isolés et battus ce que Wang Bing ne montrera jamais vraiment en détail mais quand on voit revenir un détenu couvert de bleus et menotté, ca laisse peu de doutes sur ce qui se passe en coulisse (la scène qui suit est d’ailleurs terrible quand ce médecin, qui est plus un bourreau au final, refuse de retirer ses menottes et laisse cet homme comme ca pendant des heures alors qu’il le supplie, c’est absolument terrible). Dans une interview, Wang Bing dit lui-même qu’il s’est refusé à filmer le pire. Comment cela peut-il être pire? On sait par exemple que les électrochocs existent encore dans les hôpitaux psychiatriques de Chine mais nous ne verrons rien de tout cela. On comprend bien cependant combien ces hommes ont été broyés, pour beaucoup on les a rendu fou.
Les anciens, eux, résignés, ne luttent plus et tentent d’expliquer aux nouveaux que cela ne sert à rien, il ne faut pas pleurer, eux aussi ont vécu cela au début, mais il ne faut pas pleurer. Il faut laisser dormir les autres aussi, le sommeil semble avoir un rôle important, comme si les rêves étaient leur seul échappatoire dans cette sombre réalité.


Wang Bing les filme chacun individuellement pendant une dizaine de minute, parfois plus, c’est absolument déchirant, et éprouvant. Malgré la folie, tous gardent tout de même une certaine lucidité sur leur condition et leur réalité qui ne se résume plus qu'à cet endroit. L’espoir de sortir un jour reste omniprésent, mais à quoi se raccrocher d'autres? Sur les 3 mois, on en verra un sortir tout de même (pour une autorisation de 10 jours seulement sous condition donc), après 11 ans. Sa mère dira “on a tout payé de notre poche, le gouvernement ne nous a jamais donné un centime”... Seul moment du docu qui nous sortira pour un moment de l'hôpital pour le suivre dans sa famille, libre. Elle lui demandera “c’est si terrible que ca là-bas?” il répondra “oui…”


Dans cette prison qui n’en porte pas le nom, les médecins et infirmières sont peu présents, uniquement pour punir et donner les doses de médicaments. Il ne reste plus que ça et les cigarettes comme petit plaisir de la vie.
Les visites des familles sont rares, la plupart semblent complètement abandonnés, certains, plus chanceux, ont bien quelques visites (mais pour combien de temps encore), un petit attroupement se forme alors, comme si cette personne devenait un peu la famille de tous, un petit rappel de la vie à l'extérieur qu’ils ne connaissent plus.


A l’image de ce nouveau arrivant qui crie de désespoir “comment avez vous pu m'emmener ici. Putain c’est horrible. Je ne suis pas fou, laissez moi sortir d’ici” “je ne suis pas fou” aurait été un très bon titre aussi. Difficile de dire combien sont enfermés là sans n’avoir aucune pathologie avant d’y entrer. Et pour les autres aux pathologies plus évidentes, on ne parle pas d'hôpital, il n’y a aucun soin, les patients urinent et défèquent n'importe où, l’odeur de l’urine transperce l'écran. Il n’y a rien a faire, rien que de répéter à l’infinie les mêmes gestes, les mêmes journées en boucle, pendant des années, sur des lits miteux, entassés comme des bêtes, déambulant sur le même chemin, nus en permanence pour certains… Bon ils ont quand même un coin TV (qui paraît un peu “décalé” d’ailleurs face au reste de leur condition).


Malgré tout cela, on assiste quand même à des moments de douceur entres ces hommes, on se confie, on chante des chansons d’amours ou des poèmes, on se donne des surnoms comme “papounet” (ce film va vous briser le cœur!) et des rires, étonnement beaucoup de rires, pour nous rappeler que oui, ce sont bien des humains. C’est d’ailleurs un des films les plus humains que j’ai pu voir. On s’attache à chacun d’entre eux, et c’est ça la puissance de ce documentaire.
Et puis et puis, il y a toute cette partie ou l’on voit les interactions entre les hommes et les femmes, elles aussi internées, à l'étage du dessous. il y a ce moment absolument incroyable et surréaliste d’interaction sexuelle. Les 2 uniquement séparés pas ces barreaux et cette cour intérieure.


4 heures… 4 heures ou chaque passage est une véritable œuvre de maître, et à la fois un déchirement, une torture, quelle expérience incroyable!


Un des meilleurs documentaires jamais réalisé selon moi. Une nécessité, une preuve de ce que ce régime fait de pire, dans l'indifférence générale. Même si c’est très dur! Ame sensible, je ne sais pas si je peux vous le conseiller. Mais c’est un véritable chef d'œuvre viscéral et inoubliable! Je vais mettre un certain temps à ne plus y penser et ça fait bien longtemps que je n’ai pas ressenti ça face à une œuvre! Il est grand temps que je me rattrape sur la filmo de Wang Bing.


NB: D’ailleurs je n’ai pas réussi à trouver l’info: je me demande si le film est sorti en Chine, ça me parait impossible. Ou alors ce fut un énième moyen de montrer à qui ose faire un faux pas ce qui peut lui arriver. Si quelqu’un a cette info, ça m'intéresse!

ChrisyShalala
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Mes films préférés

Créée

le 16 août 2023

Critique lue 12 fois

Chrisy Shalala

Écrit par

Critique lue 12 fois

D'autres avis sur À la folie

À la folie
AcorBailhache
10

Attention, chef d'œuvre !

De janvier à avril 2013, Wang Bing a filmé le quotidien d’un hôpital psychiatrique de la province du Yunnan, au sud-ouest de la Chine. Enfermés là pour des raisons parfois fallacieuses – parce qu’ils...

le 16 sept. 2014

20 j'aime

À la folie
PatrickBraganti
9

À bout de coursive

Objet cinématographique hors normes, À la folie est le nouveau film du documentariste chinois Wang Bing qui nous plonge durant presque quatre heures dans l’existence d’une cinquantaine d’hommes...

le 18 mars 2015

16 j'aime

2

À la folie
Vivienn
9

A la folie est un film qui, fondamentalement, effraie. Il faut en avoir du courage pour s’enfermer pendant presque quatre heures dans une salle de cinéma pour un documentaire chinois sur un hôpital...

le 4 mai 2015

16 j'aime

Du même critique

Phantom of the Paradise
ChrisyShalala
9

Rock'n'Roll extravaganza

Swan, producteur de disques riche et célèbre recherche une musique divine pour faire l’ouverture de son club ‘le Paradise’. Winslow Leach, compositeur naïf, se fait voler sa cantate rock par un Swan...

le 22 mars 2014

20 j'aime

6

Maus : L'Intégrale
ChrisyShalala
10

Dédiée à Madame Charon!

Oh chère Madame Charon, prof de Français dans les années 90, si je te revoyais aujourd'hui, comme j'aimerai te jeter cette Bd à la figure! Selon toi, la bande dessinée, c'était pour les incultes, tu...

le 3 mars 2014

18 j'aime

8

Lettres d'un homme mort
ChrisyShalala
10

L'élève a-il dépassé le Maître?

Ce réalisateur est une découverte pour moi et surtout un véritable coup de cœur! J'ai regardé ses deux films en très peu de temps. J'ai commencé par "Le visiteur du musée" qui m'a complètement...

le 5 mars 2014

15 j'aime

3