Terrence Malick cherchait-il à faire d’A la merveille une ode à l’amour ? Si tel était le cas, le pari est loin d’être relevé. Vingt-deux mois seulement après que The tree of life ait été sacré Palme d’Or au Festival de Cannes, le réalisateur livre une oeuvre imprégnée de ses obsessions habituelles, mais complètement dénuée d’émotion.

“Où est-on quand on est là ? Pourquoi pas toujours ? Quelle est la vérité ?” sussure en français la voix off de Olga Kurylenko, dans une succession de litanies sans queue ni tête, tandis qu’une tortue aquatique passe paisiblement à l’écran. Pas de doute, il s’agit bien du dernier Malick. Un réalisateur que j’ai découvert avec The tree of life, et dont, comme Gibet lorsqu’il se penche sur La ligne rouge, je confirme ne pas aimer les lubies cinématographiques.
L’on doit pourtant accorder à Terrence Malick son sens admirable de l’esthétique. A la manière des films de Wes Anderson par exemple, ceux de Malick semblent immédiatement reconnaissables par leur photographie et mise en scène bien particulières. A la merveille est serti de quelques coups de génie, de diverses scènes d’une beauté à couper le souffle et d’un lyrisme que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. Cet homme a un talent fou à de nombreux égards, et je me désole de n’être sensible à ses films devant lesquels je tente sans succès de ressentir ne serait-ce qu’une once d’émotion.

A la merveille tire son titre vibrant de promesses de la merveille du monde occidental, et lieu-clé de l’histoire de ses personnages, le Mont Saint-Michel. Celui-ci revêt une symbolique hybride reflétée par le thème auquel Malick semble s’attaquer : l’amour, sous toutes ses formes, et notamment l’amour pour son conjoint, mais également l’amour consacré à Dieu. Une direction contestable mais aucunement surprenante de la part du réalisateur qui imprégnait déjà The tree of life d’une véritable ode non seulement à la vie, mais surtout à celle-ci en tant que création de Dieu.

Seulement, ce choix est envahissant et cannibalise le coeur du sujet. Où nous devrions tous nous sentir bouleversés par les hésitations des protagonistes sur un sujet universel qui nous concerne tous, nous ne parvenons qu’à leur accorder un regard extérieur non affecté. Le sujet est pourtant abordé avec intelligence, sans idéalisme (esthétique à part) : le concret tuant les sentiments, les interrogations découlant d’éléments simples comme le poids du quotidien. Ben Affleck et Olga Kurylenko peignent une histoire typique rythmée de grands et petits drames, et le couple remet régulièrement en question ses sentiments, tandis que s’esquisse le parallèle avec la quête du Père Quintana questionnant sa foi.

Mais Malick nous exclut de son film en poussant ses délires esthétiques et religieux à l’extrême. Il noie son film sous un flot de musique classique, tandis qu’Olga Kurylenko fait virevolter pour la cinquième fois sa longue jupe puritaine en minaudant dans un énième champ de blé. Ben Affleck, objet de l’affection de ces dames, n’exsude absolument aucun charisme, et demeure inexistant, sans aucune substance. Est-ce voulu ? Si oui, ce choix est inexplicable. Javier Bardem seul parvient à se rendre un peu attachant en comparaison du reste du casting, tandis que Rachel McAdams fait une apparition déceptivement courte.

Déstructuré, A la merveille se complaît dans l’abstraction, brisant la règle de l’efficace “show, don’t tell” et préfère relater la majorité des éléments importants sous forme des réflexions intérieures des protagonistes, incarnées par une incessante voix off. Des réflexions obscures, et paradoxalement d’une simplicité exaspérante : ”Quel est cet amour qui nous aime… qui vient de partout tout autour”. L’utilisation de plusieurs langues, et notamment du français, n’arrangent en rien ces effets de style dont la signification manque complètement de subtilité.

A ceci s’ajoute un possible malaise d’être le sujet d’un tel prosélytisme religieux lorsque le sujet est censé en être l’amour. Dieu est la solution. Dieu est amour. Dieu est une tortue sous-marine. Dieu est un lampadaire éclairant la voie dans ta longue nuit de questionnements.

Il en résulte un film sans aucune sensualité ni émotion, ce qui est quelque peu dommage pour une oeuvre consacrée à l’Amour sous toutes ses formes. L’ennui, en revanche, est bel et bien présent, tout au long d’une histoire au potentiel complètement gâché par l’arrogance de son auteur. L’amour selon Malick n’est ni drôle, ni heureux, ni même passionnel, et surtout, dénué d’émerveillement.
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le 10 mars 2013

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