Abyss
7.3
Abyss

Film de James Cameron (1989)

Les problèmes que posent un film comme Abyss peuvent être pris de deux façon différentes : dans la première hypothèse (mode politique des auteurs ON), James Cameron est un visionnaire qui, pour pouvoir s’exprimer pleinement au sein de budgets conséquents, doit sacrifier aux exigences du cahier des charges du blockbuster, avec le lot de scories, de poncifs et de lourdeurs que cela entraîne inévitablement. Dans la deuxième, James Cameron est simplement un représentant du divertissement américain et il faut faire avec, parce qu’il a un peu de talent.


Abyss sort un an après Le Grand Bleu, et partage avec lui cette fascination pour les grands fonds magnifiés par de nouvelles prises de vues favorisant l’immersion du spectateur : vaste, vertigineux, effrayant et fascinant, ce monde inconnu est riche de promesses, qu’il s’agisse d’une romance adulescente d’un homo delphinus ou d’une réécriture, comme ici, du Jour où la terre s’arrêta version aquatique.


Les conditions de production, dans un gigantesque bassin d’une ancienne centrale nucléaire, épiques comme il se doit, à une époque où la CGI n’était qu’une option d’exception, firent beaucoup parler et accentuèrent les attentes d’un public friand de grosses machines, alimentant le storytelling d’une promo qui n’existe plus aujourd’hui, où la post production dans des fermes d’unités centrales excède la durée du tournage. Et il faut bien avouer qu’un frisson subsiste aujourd’hui encore au visionnage de ces prises de vues sous-marines, de cette vigueur avec laquelle Cameron filme les espaces clos, dans la droite lignée de son précédent Aliens.


Abyss est un beau film, qui prend son temps pour développer une atmosphère et matérialiser à l’image la pression des profondeurs : de ce point de vue, la durée est justifiée, et le talent du cinéaste indéniable, favorisant l’émergence, dans cette ivresse claustrophobe, du surnaturel de la SF. Ce n’est pas un hasard si le trip final emprunte pas mal au 2001 de Kubrick, que ce soit par les effets luminescents ou les reflets sur le casque du voyageur.


Dans ce vaste océan où personne ne vous entendra vous émerveiller, Hollywood lâche pourtant son septième continent d’inepties. Rien ne manquera à l’appel, de l’exposition lourdingues (montrons l’effet de la dépressurisation, l’oxygène liquide sur le rat) aux symboles en parpaings (le divorce et l’alliance qui sauve du blocage d’une porte, le psychopathe qui part avec une tête nucléaire) pour converger vers une explicitation aussi ruineuse pour notre imaginaire qu’irritante à notre rétine. A ce titre, la comparaison entre le final d’Abyss et celui de 2001 est particulièrement féconde : quand le premier laisse pantois par la pluralité des exégèses possibles, dans la neutralité angoissante d’un monolithe noir, le second se vautre dans l’exhibition au grand jour, par la sortie des eaux d’un vaisseau en carton-pâte de toute laideur lesté de violons à n’en plus finir.


Alors oui, le cinéma était une attraction foraine à ses origines, et la mise en image est au cœur de sa magie. Mais à prendre trop au sens littéral ces prérogatives, James Cameron fait sombrer, bien avant le Titanic, un édifice qui aurait pu se mouvoir avec grâce.


(6.5/10)

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le 8 oct. 2019

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Sergent_Pepper

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