Et si le cinéma tchécoslovaque était le plus surprenant qui soit ? Cette affirmation est peut être un peu abusive mais elle résume assez bien le plaisir que j'ai eu à découvrir les oeuvres de Jan Svankmajer, Karel Zeman, Juraj Herz ou Jiří Menzel : artistiquement riches, leurs films ont une capacité à s'extraire du réel pour prendre la forme de contes oniriques toujours plus fascinants. Cette première excursion dans l'univers d'Oldřich Lipský n'y fait pas exception, bien plus porté sur le comique que les oeuvres des créateurs sus-cités, Adèle n'a pas encore dîné reste une oeuvre à la créativité rafraîchissante, portant clairement la marque de cette nouvelle vague tchécoslovaque.
Adèle n'a pas encore dîné est donc une comédie qui ne se cache pas, les images d'Epinal qui forment son générique annoncent une ambiance cartoonesque très vite confirmée par les premières scènes : l'ambiance musicale guillerette et le sound design digne d'un Bugs Bunny participent à la mise en place d'une comédie agréable - dont les gags irréalistes rappellent bien souvent la BD - mais absolument pas débilisante car tout à fait intelligente dans sa démarche d'utilisation du médium cinématographique.
Si elle s'annonce comme une histoire de détective privé, les enjeux seront bien loin d'un Whodunit et l'improbable affaire de plante carnivore et de disparition de chien à laquelle nous sommes finalement confrontés passe finalement très bien grâce à un mode semi-parodique plutôt efficace. Adèle n'a pas encore diné est une enquête surréaliste, une sorte de parodie burlesque de celles d'Hercule Poirot ou Sherlock Holmes à la sauce nouvelle vague tchèque.
Si les personnages archétypaux peuvent paraitre rebutant au premier abord, participant à une impression fort désagréable de déjà vu, leur coté grotesque et fantasque participe lui aussi à créer l'ambiance particulière du film car, peu importe que l'enquête soit vue et revue, puis résolue en dix minutes, ce sont le comique des situations et sa créativité de mise en scène qui intéressent. A cela s'ajoute le duo très spécial, composé d'un rustre bougon obsédé par le cervelas et la Pilsen (joué par Rudolf Hrusinsky, acteur traumatisant de l'Incinérateur de cadavres, qu'il est plutôt rassurant de le voir dans un rôle comique tant il y semblait un réel psychopathe) et d'un génie de la résolution de crime, qui s'avère capable d'arracher de réels sourires dans certaines scènes, notamment celle inattendue du barathon, créant un lien entre deux personnages que tout oppose et nous incluant dans leur univers. J'insiste beaucoup sur les bons points, mais la plupart des blagues restent assez classiques et sont déjà bien connues de nos services, mais n'en est-il pas ainsi de toutes les comédies ?
Nous sommes donc clairement face à une oeuvre nécessitant une suspension complète de l'incrédulité, rien n'y est réaliste et la couleur est annoncée dès l'apprentissage du tchèque en un trajet en train par le protagoniste, mais n'en déplaise aux prosaïques, une fois chose faite c'est un très bon moment que l'on s'offre.
Le film fait en effet preuve d'une inventivité dont la multitude de gadgets est symptomatique, mais qui réside surtout surtout dans l'utilisation du media : Flashbacks photographiques, plante en stop motion, passages animés... Oldřich Lipský ne se refuse rien et moi j'aime bien.
Adèle n'a pas encore dîné peut sembler une coquille vide ou une blague trop longue et n'est en effet pas sans défauts ni longueurs, mais tire son épingle du jeu des comédies médiocres et soporifiques grâce a sa créativité : s'il n'y a rien de bien transcendant dans l'enquête ni les blagues, l'originalité vient des moments insolites forts agréables culminant sans doute dans la scène finale d'hommage au cinema muet qui m'a personnellement bien fait rire. Qu'il est agréable de voire une comédie qui sous une apparence absurde voire stupide se révèle être intelligemment pensée et sincèrement divertissante !