Peu de films arrivent à capter la banale complexité de la relation entre un père et son jeune enfant. C’est avec beaucoup de douceur et de mélancolie qu’Aftersun y parvient en nous montrant les vacances d’été d’un jeune papa et de sa fille dans un Club Med en Turquie.


C’est d’abord un film qui réfléchit sur l’image du souvenir, sur sa visualisation dans notre mémoire et sur la manière dont elle s’inspire de preuves matérielles comme un film de vacances, un polaroid ou le reflet d’une télévision. Car plus le temps passe, plus l’imagination comble les trous de mémoire en dessinant une image fausse et enjouée du passé, c’est la nostalgie. Voilà pourquoi on est parfois choqué à la vue de certaines photos qui viennent dissoner avec notre souvenir du moment, car entre temps notre esprit a pris des libertés avec le réel. C’est un sentiment qui est omniprésent chez la Sophie adulte. Il engendre une confusion que le film nous montre en mélangeant ses rêves, les vidéos du camescope et le récit de l’histoire. Ce dernier est parfaitement maitrisé à l’aide d’un cinéma profondément naturaliste, c’est-à-dire qui se contente d’être une fenêtre ouverte sur le monde, dont s’échappe un meilleur ressenti de notre propre vie, de notre propre expérience. Aftersun nous invite, via son récit et ses personnages à la réminiscence, on revit plus qu’on se remémore. On revit l’intimité d’une chambre d’hôtel où les repirations se mêlent, les discussions compliquées avec papa et les premières sorties en liberté.


Le film aurait pu être poseur, mais grâce à la simplicité de sa mise en scène et à l’alchimie des acteurs principaux, on est profondément touché par la sincérité qui se dégage de cette relation père/fille. Les images de leur complicité se mélangent inévitablement à notre propre souvenir, provoquant une symbiose parfaite avec le film. La représentation de la filiation offerte par Aftersun déclenche l’introspection et c’est à notre tour de voir les images et les sensations défiler dans notre esprit. Le rythme lent, les plans fixes et la photographie chaude nous apaisent pour mieux laisser surgir l’émotion au moment opportun. La réalisatrice jongle habilement entre le calme et l’euphorie, entre l’inerte et le mouvement, entre la simple captation du réel et l’extravagante expression de son expérience. Aftersun est un grand film car il nous plonge dans le passé pour mieux nous rappeler de vivre au présent, de profiter des instants suspendus et des étés interminables. Il nous prouve que c’est dans l’évidence que se niche l’art le plus majestueux.


Il nous rappelle que les grandes histoires n’appartiennent pas aux rois, aux héros de guerre ou aux légendes de l’antiquité, mais bien à ces moments universels vécus par Sophie et Callum. Elles se nichent dans les petits rien de la vie, dans la banalité d’un quotidien que nous avons tous expérimenté. Sa grandeur ne s’exprime pas par son caractère extraordinaire, mais par sa profonde banalité. Car comme Sophie, beaucoup d’entre nous ont connu les parties de billards, les journées interminables au bord de la piscine, les couches de crème solaire toutes les deux heures et les souvenirs filtrés aux camescopes. Un jour, nous aussi, nous ne serons que des images, des échos dans la mémoire de nos proches, des sensations lointaines surgissant au hasard. Comme Callum, nous sommes destinés à pousser les portes de la mémoire, quittant ainsi notre vie pour n’exister que dans le souvenir des vivants, voilà notre seule certitude sur la mort, notre seul au-delà, notre unique après. Il ne nous reste qu’à espérer qu’ils s’y accrocheront, comme Sophie s’accroche au souvenir de leur dernière danse.

Erospleure
8
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le 29 mars 2023

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