Amants et Fils
6.8
Amants et Fils

Film de Jack Cardiff (1960)

Pour beaucoup de cinéphiles, Jack Cardiff est avant tout un immense chef op', il est l’homme qui fit le bonheur de cinéastes comme Powell & Pressburger (Black Narcissus) ou encore de John Huston (The African Queen). Le voir passer à la réalisation éveil les curiosités et laisse craindre un film purement esthétique, une belle coquille vide en quelque sorte. Fort heureusement ce n'est pas le cas et, malgré son classicisme formel, Sons and Lovers préfigure joliment ce que sera le free cinema et notamment le Saturday night and sunday morning de Karel Reisz qui sortira la même année. On retrouve ainsi, derrière la description du milieu ouvrier, l'évocation nostalgique d'une Angleterre traditionnelle qui laisse progressivement sa place à une modernité qui n'en finira plus de bouleverser le quotidien. Bouleversement des mœurs, évidemment, et de la représentation de l'homme (ou de la femme) au sein de la société, de la famille et du couple ; ou, tout simplement, bouleversement des statuts de "fils" et "d'amoureux"...


En adaptant l'ouvrage de D. H. Lawrence, Cardiff adopte les codes du mélodrame avec un classicisme un peu désarmant, donnant au film une dimension désuète qui sied mal avec un propos plutôt novateur. Formellement, Sons and Lovers est de bonne facture et se contente bien souvent de suivre les chemins balisés du genre : on retrouve, par exemple, l'histoire d'amour contrarié, le poids des conventions ou de la religion, l'opposition père/ fils, sans oublier les habituels rebondissements dramatiques (le coup de grisou dans la mine, la maladie, etc.). Son intérêt est à chercher ailleurs, et notamment dans sa représentation d'un monde où coexistent, tant bien que mal, les reliquats d'un passé parfois pesant et les promesses d'un avenir que l'on espère radieux... Tout est dit dès les premières secondes, avec la vision de ce moulin à eau, déserté et ignoré, qui précède celle de cette mine vers laquelle toutes les attentions convergent. Ainsi, Sons and Lovers oscillera constamment entre tradition et modernité, entre monde rural et monde industriel, entre Nottingham et Londres...


Ce n'est pas une surprise, évidemment, l'utilisation du cinémascope est admirable, le subtil jeu sur les contrastes ainsi que la précision des cadrages donnent leurs pleines puissances évocatrices aux images : on observe, admiratif, la reconstitution de ce monde ouvrier où la vie est rythmée par la convivialité et les coups de sang, par le labeur éreintant et l'alcool faussement réconfortant. En peu de scènes- mais quelles scènes ! - Cardiff restitue admirablement l'ambiance de cette époque, la chaleur et le bonheur qui surnagent lors des repas de famille et en même temps la résignation qui envahit ces hommes qui n'ont que la mine comme seul horizon... Noir intense, paysage boisé baigné par la brume ou plage nocturne transformée en refuge pour les amoureux égarés, les instants poétiques ne manquent pas et contribuent à l'infime beauté du métrage. Et si cela ne suffisait pas, les prestations sans failles des principaux interprètes, Wendy Hiller et Trevor Howard en tête, finissent par nous convaincre totalement.


Mais là où Sons and Lovers touche juste et parvient à nous émouvoir, c'est dans la représentation du cheminement intérieur entrepris par Paul. Ce dernier va en effet puiser ce qui fera de lui un homme dans les différentes relations amoureuses, ou aimantes, qu'il va établir. La première d'entre elles, évidemment, est celle qui va l'unir à ses parents, et notamment à sa mère. L'amour maternel est tout de suite perçu comme une force aussi puissante qu'inhibitrice. Tout le challenge pour lui, sera de trouver sa vraie place de fils et ainsi de se rapprocher un peu plus de son père. De la même façon, les relations aux autres femmes, aux amantes, vont forger sa représentation toute personnelle du bonheur. Un bonheur d'homme moderne pourrait-on dire, puisqu'il conjugue l'amour avec liberté et égalité des sexes. Et finalement, sans en avoir l'air, Sons and Lovers aborde une thématique résolument moderne, en évoquant notamment l'émancipation des femmes et les répercussions bien souvent insidieuses du conservatisme au sein de nos sociétés dites modernes ! En tout cas, la finesse avec laquelle il est parvenu à développer des sujets aussi complexes, fait de Cardiff l'égal des maîtres qu'il a habilement servis : un grand cinéaste, n'en doutons pas !

Procol-Harum
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le 4 mai 2022

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