"Je ne peux travailler qu’au moyen du souvenir, à travers l’essentialité dans laquelle la mémoire des choses fonctionne. Je peux le faire seulement à travers le filtre du souvenir qui décante, décompose, va au cœur des choses."

Fellini.

Pour moi Amarcord constitue le sommet de l'œuvre fellinienne car il est moins fastueux ou exubérant que ses films habituels, le cinéaste va au cœur des choses, se dévoile, se fait intime, parle de sa jeunesse, de son pays... mais pas seulement. Car paradoxalement, son film le plus personnel brille par son caractère universel ! Cette enfance, qu'il évoque, peut-être celle de tout le monde car elle a la couleur et la saveur de la vie quotidienne ; et puis surtout c'est toute l'Italie qui défile sur l'écran, celle que l'on aime ou que l'on fantasme, faite de ces campagnes, au fond si semblable aux nôtres, qui vivent au rythme des saisons, peuplées de ces personnages pittoresques qui s'aiment en criant et souffrent en silence.

Alors bien sûr mon avis importe peu car je n'ai pas grand-chose à ajouter sur un film où tout a été dit, et bien dit, au fil du temps, ici ou ailleurs. Amarcord est tellement fellinien, tellement italien, que la plupart du temps les gens vont aimer ou détester ce film pour les mêmes raisons. Après tout est affaire de goût ou de sensibilité.

Plus qu'un film classique, Amarcord est une succession de saynètes qui sont autant d'évocations du souvenir. Celles-ci s'enchaînent sans lien de cause à effet, constituant un flot d'images qu'il ne faut surtout pas tenter d'intellectualiser. Tout est affaire d'émotions et de poésie, il suffit juste de pouvoir lâcher prise et de se laisser porter par le courant.

Le rythme est lent sans être ennuyeux, il nous laisse ainsi le temps de nous immerger dans cet univers où la légèreté et la gravité se succèdent sans fin, où l'on passe du rire aux larmes en un instant, sans nous en rendre compte, avant de se laisser gagner enfin par cette douce mélancolie si grisante pour notre esprit et qui nous rappelle ce que c'est que d'être "humain". Car de toute évidence certains l'ont oublié, se laissant aller à l'intolérance, à la violence, au fascisme... D'eux, Fellini préfère s'en moquer. Des institutions corrompues par le fascisme, il en tire une caricature grotesque afin de mieux leur rire au nez ; quant au défiler des chemises noires, il est vu comme une bouffonnerie de plus, dont l'impact est vite balayé par la puissance évocatrice d'un violon reprenant L'Internationale au cœur de la nuit.

La politique est une chose, mais les émotions en sont une autre. J'ai découvert Amarcord très jeune, ça été l'un de ces films qui m'ont fait aimer le cinéma. Ces souvenirs, cette jeunesse, cette mélancolie, cette poésie, tout ça fait dorénavant partie de moi. Une sensation que je n'ai retrouvé qu'une seule fois depuis, c'était devant "Le Miroir" ; un film qui est, d'une certaine façon, étrangement similaire. Tarkovski, Fellini, même combat pourrait-on dire ! Il faut dire qu'ils sont fort ces deux-là. Ils évoquent tous les deux la même chose, la vie et leur terre, mais avec leur propre langage et leurs propres mots ! Heureusement les émotions, elles, sont universelles et c'est pour cela que leurs œuvres nous touchent autant.

Mon aparté sur les émotions est important pour tenter d'expliquer mon affection toute particulière envers ce film. Amarcord ce n'est pas simplement la vie d'un gamin au fin fond de l'Italie dans les années 30, non car ça je m'en fiche un peu. Ça parle d'une vie qui pourrait être celle de tout le monde tant Fellini a réussi à s'effacer derrière ces personnages. Ça parle simplement de l'enfance, du passage à l'âge adulte avec tout ce que cela suppose comme changement ou comme interrogation ; ça parle avant tout de la joie, de la peine, de la mort mais aussi des passions et notamment celle du cinéma ! La vie et le ciné, c'est tout ça, Amarcord !

Alors forcément, je me suis vite senti à l'aise au sein de cette campagne si lointaine et pourtant si familière. Le vent emporte les manines, les cloches sonnent, le printemps arrive et les souvenirs reviennent. Il y a ces enfants qui s'ennuient pendant des cours longs et fastidieux ; heureusement il y a les copains et il y en a toujours un pour faire rire l'autre. Il y a cette famille où les disputes et les grivoiseries émaillent joyeusement le repas quotidien. Les hommes sont souvent maladroits pour exprimer leur sentiment, le père ne sait comment exprimer son amour à sa femme et à ses enfants, tandis qu'un autre se croit obligé de se glisser au sommet d'un arbre pour exprimer son besoin d'amour.

Mais le temps passe, les enfants grandissent, et l'imagination n'est plus simplement tournée vers le jeu mais également vers le plaisir charnel. La femme attire alors les regards, ce peut-être la prof avec ses rondeurs évocatrices, la prostituée forcément provocatrice ou même cette buraliste à la poitrine plus qu'avantageuse ! Ah les fantasmes de la jeunesse... Mais le désir, c'est aussi le rêve d'un idéal vendu par le cinéma, les hommes s'identifient aux stars de l'époque tandis que les femmes rêvent de s'enfuir avec Gary Cooper.

Partir, oui, car il faut bien partir un jour. D'ailleurs le temps, cruel, continue de passer, il vous enlève une mère partie bien trop tôt et vous propulse à l'âge adulte sans crier gare. Alors on se retrouve là, à rêver vers un ailleurs inaccessible comme ces gens amassés sur le quai à regarder ce paquebot passer. Et lorsqu'on réalise qu'on est là comme des couillons à attendre un rêve qui n'arrivera pas, on commence enfin à s'intéresser aux autres ! Non pas pour leurs formes, non, mais pour ce qu'ils sont réellement. Le père se fait tendre avec la mère, la pin-up locale se laisse aller à la confidence, les caricatures se fendent peu à peu et les sentiments peuvent enfin éclore. C'est seulement ainsi que l'on peut prendre le chemin de l'âge adulte, partir non sans peine car on laisse sa famille et ses amis, mais on peut enfin partir sereinement. Ne reste alors en tête que des souvenirs, des images plus ou moins floues, les joies de l'enfance et cette douce mélancolie qui prend forcément la forme de la musique de Nino Rota.

Così è la vita !

Créée

le 4 août 2023

Critique lue 26 fois

Procol Harum

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