"Give me your tired, your poor,

Your huddled masses yearning to breathe free..."

Quelques mots inscrits pour l'éternité et qui ont une résonance toute particulière pour ce New-Yorkais, "Grec de sang, Turc de naissance", qu'est Elia Kazan. Si America, America clôture brillamment sa trilogie américaine, on appréciera avant tout le changement de ton employé : plus simple, plus cru, plus intime. Alors que les deux autres opus (Wild River et Splendor in the Grass) se voulaient être critiques à l'égard de la société US tout en s'attardant sur ceux qui y vivent (les victimes de la crise ou des bonnes mœurs de l'époque), avec ce film Kazan va à l'essentiel en évoquant le destin de ces immigrants, de ces "Américains à trait d'union", pour qui ce pays est avant tout un rêve de liberté et de seconde chance.

Film éminemment intime et personnel, America, America est dénué de toute forme d'exubérance. Bien au contraire, Kazan fait ici vœux de sobriété, en s'inscrivant immédiatement dans une démarche de témoignage et de vérité. Ainsi dès les premières secondes, le noir&blanc nous appelle à la solennité, avant que Kazan, lui-même, ne vienne nous accueillir en nous murmurant simplement quelques mots, nous précisant que cette histoire est celle de ses aïeux, et qu'il nous propose de nous conter ce "voyage en terre lointaine" qu'entrepris un jour son oncle et qui fit de lui, un Américain.

Ce qui frappe dès les premiers instants, c'est bien sûr cette volonté de montrer le destin d'un immigrant qui a valeur d'universalité, rappelant tous ceux qui ont choisi un jour de tout quitter pour aller tenter leur chance ailleurs. Mais c'est aussi la démarche personnelle d'un homme qui tente de renouer avec ses origines : Kazan filme longuement les paysages arides d'Anatolie, comme pour rendre hommage à la terre de ses ancêtres, puis avec une précision toute documentaire, il aborde la différence de conditions entre "les conquérants et les conquis", avant d'évoquer les massacres perpétrés par les Turcs. Les images sont fortes et donnent tout son sens au film.

Puis le style devient plus classique, la fiction se mêle avec des éléments réels pour conter l'incroyable périple d'un migrant pour rejoindre l'Amérique. Stavros veut rejoindre ce pays, dont il ne connaît rien, avant tout pour une question de survie. Il fuit la violence, la dictature, et espère trouver aux États-Unis la liberté, la possibilité de vivre sa vie. Bien entendu, sous la caméra de Kazan, Stavros devient la figure symbolique de l'immigrant, mais le cinéaste se montre assez habile pour éviter la caricature et nous expose son histoire sans aucun misérabilisme.

Rapidement on comprend que ce voyage a tout de l'odyssée vers la terre promise : pour atteindre son but, le jeune homme va devoir passer de nombreux obstacles, vivre de nombreuses péripéties et être capable de montrer sa valeur et sa détermination. L'Amérique est un rêve qui se gagne, qui se mérite. Kazan s'emploie alors à filmer la ténacité de Stavros en s'attardant sur son visage comme pour y lire la volonté qui s'affiche dans son regard. Mais celle-ci se voit également dans son aptitude à surmonter les différents obstacles, encaisser les coups et les humiliations pour toujours se relever et progresser vers son but. Ce voyage devient alors voyage initiatique, faisant passer un jeune homme à l'âge adulte, lui inculquant notamment l'importance des valeurs humaines, la camaraderie ou l'éveil aux sentiments.

America, America a sans doute les défauts de ses qualités ; cette immense fresque n'est pas dénuée de longueurs et ne possède pas la même force émotionnelle des œuvres précédentes de Kazan. Mais la force du propos reste intacte, le film vient témoigner un certain idéal de l'Amérique tout en rendant hommage à ces immigrés qui ont construit le pays. Et dans un dernier souci d'authenticité, Kazan clôture son film en nous montrant ces immigrés entassés dans un bateau en partance pour le nouveau monde, attendant eux aussi une part du rêve Américain.

Créée

le 26 avr. 2023

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Procol Harum

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