Le réalisateur l’a avoué lui-même : Antichrist a été comme une thérapie pour lui, un espace infini et imaginaire de toutes ses pensées négatives. Et le résultat, féroce et physique, est bien celui d’un esprit complétement malade. Lars Von Trier détruit l’Avre de paix biblique qu’est le Jardin d’Eden pour en faire un environnement infesté par les remords, cachant sous ses terres la putréfaction de l’âme humaine.


Derrière cette folie, cette grandiloquence un peu pompeuse qui contamine le graphisme même du film, le cinéaste danois injecte toujours une once d’ironie au macabre, une pointe de drôlerie à la folie. Comme en témoigne cette première séquence, en noir et blanc, faite en ralenti, qui juxtapose un couple en train de forniquer (pénétration en gros plan) alors que dans le même temps leur jeune enfant est en train de se défenestrer. Voir l’enfant dans le vide, bras ouvert, en ralenti, est aussi cruel que grotesque (voir hilarant) dans sa mise en forme.


Elle se trouve aussi là, la folie du réalisateur : faire apparaitre le ricanement un peu bête face aux prémices de la mort certaine. Antichrist marque alors le spectateur de son empreinte dès les premières minutes : gutturale, stridente, et au bord de la falaise du bon gout. Suite à cet élément déclencheur, ce couple va se déchirer et tenter de recoller les morceaux. Lui, essaye de prendre du recul, presque thérapeute face à sa femme qui est en plein déchéance. Antichrist, outre son aspect symbolique et déviant sur bien sujets, notamment celui du rapport de l’homme à la femme et inversement, est un film sensoriel extrêmement physique.


Un objet de pure fascination ou de rejet autour de deux acteurs qui s’invectivent, qui baisent à en mourir, qui se frappent jusqu’à se tuer. Même si le cinéaste laisse une grande place à son imaginaire religieux et son iconisation de l’antre mortifère qui emprisonne les deux personnages, avec ses couleurs sombres et cette forêt funeste, il fait d’Antichrist un pamphlet organique empoignant avec puissance la déchirure physique et charnel de ses deux personnages. Comme si, la culpabilité, les remords, et la haine de soi, prenait corps pour hurler, non pas à travers les mots, mais par le biais de deux corps en friche.


Antichrist est un huis clos mental, qui manipule à outrance la colère de chacun des parents pour la matérialiser en un magma de terreur, mais se décompose aussi en un huis clos physique qui voit son récit s’écrire par les cicatrices corporelles des deux acteurs. Charlotte Gainsbourg est tonitruante dans ce rôle de mère éplorée, de sorcière féminine étant la suite providentielle d’une mère nature aliénante. Malgré ce chemin de croix qui prend la forme d’un pas vers l’enfer, Antichrist continue à creuser le sillon du rapport conflictuel entre Lars Von Trier et ses personnages féminins.


C’est presque affolant et incohérent de voir un réalisateur donner autant de rôles importants à des personnages féminins, ce qui est malheureusement extrêmement rare dans une carrière, tout en les poussant dans leur dernier retranchement à chaque fois. Que cela soit le personnage de femme martyr d’Emily Watson dans Breaking the Waves, celui de Nicole Kidman dans Dogville, voir celui de Bjork dans Dancer in the Dark.


Il est difficile de délimiter cette étroite frontière entre la misogynie du propos, où Charlotte Gainsbourg parlera de la femme et de son lien à la nature, avec la repentance et la compréhension de Lars Von Trier à propos des femmes face à la peur irrationnelle des hommes. Mais au-delà de ça, tout comme dans Nymphomaniac ou son dernier The House that Jack built, Lars Von Trier consent à décrire un monde misanthrope, morcelé par ses faiblesses et qui se noie dans ses torpeurs.


Rêche, cru, outrancier, Antichrist est une crise de couple cauchemardesque comme on en a rarement vu, qui comme durant ses prochains films, construira son récit entre interpellation philosophique et souffle épidermique d’une rare violence. Névrotique jusqu’au bout des ongles, Antichrist procure ce délicat sentiment d’avoir vu l’interdit de l’intime, d’être voyeur d’un malaise névralgique. Puissant.

Velvetman
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le 18 juin 2018

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