Ame Agaru. Un film un peu spécial, forcément. Pensé, conceptualisé, scénarisé par Akira Kurosawa, il sera mis en boîte par un autre : Takashi Koizumi, son assistant. Alors évidemment, dès les premiers plans, on cherche à repérer la patte du maître, on scrute l'écran en espérant y retrouver son style ou ses obsessions, et surtout on espère que sa vision du cinéma soit respectée. Comme si Takashi Koizumi était condamné à faire un film impersonnel, quoi qu'il advienne...
Bien entendu, on pourra toujours se demander ce qu'aurait donné Ame Agaru avec Kurosawa. Une réflexion inutile, certes, mais inévitable. On peut surtout se demander si Koizumi a pu dépasser le simple hommage pour y injecter un peu de lui-même...
Après la pluie, fait référence au changement de temps, au changement dans le temps. Misawa est un homme un peu perdu. Au sens propre comme au figuré, comme nous l'indiquent ces déambulations à travers le Japon sous une pluie torrentielle. Notre homme est un combattant émérite, un samouraï sans seigneur, sans attache, sans but finalement. Alors, il erre à travers le pays, avec son épouse, en rêvant sans doute à des jours meilleurs. Comme cette maudite pluie rend impossible le franchissement d'une rivière, le voilà momentanément coincé dans une sorte de no man's land où sera mis à l'épreuve aussi bien ses qualités de sabreur que d'homme.
Dès les premières minutes, on retrouve le Kurosawa humaniste que l'on connaît tant ! On retrouve son regard plein de tendresse à l'égard des sans-grades ou des petites gens ; le film débute en effet avec une scène de festin dans une auberge, une scène de communion qui réunit dans l'allégresse vieux, jeunes, samouraï, paysans et catins. Un moment qui est dans la pure tradition du maître défunt, faisant écho notamment à Madadayo. Et puis, ce personnage de Misawa est lui aussi typique de cet univers, à travers lui se pose la question du sens de l'honneur, du sens que l'on veut donner à sa vie. Des réflexions qui sont conduites sur un mode semblable à celui que pratiqua Kurosawa lors de ses derniers films. Le rythme est lent, propice à la méditation, on laisse parler la poésie des images, en y incorporant des références bouddhistes dont le sens échappera au profane. Même si on ne comprend pas toutes les allusions faites, le propos humaniste, lui, passe toujours aussi bien. Koizumi réussit à conduire son film en respectant la vision du maître, et ça reste drôlement réconfortant.
Seulement, si l'hommage semble réussi, Ame Agaru peine à véritablement nous convaincre. C'est comme si Koizumi était tellement préoccupé à respecter les désirs du maître, qu'il en a presque oublié le film ! Son travail, fort appréciable, reste très scolaire, froid, impersonnel. Le film manque d'ampleur, de lyrisme, de puissance dramatique. La tragédie vécue par le héros est certes bien évoquée mais les problématiques restent en surface. Koizumi se montre un élève très appliqué pour exalter la beauté de la nature, il multiplie les plans sur ces jardins verdoyants, retranscrivant très bien cette sérénité qui gagne peu à peu le personnage. Mais on ne retrouve pas ce poète panthéiste qu'était Kurosawa ! Koizumi retranscrit la beauté de la nature sans en capter toute sa majesté. Et puis, si le rythme méditatif était courant dans les derniers films du sensei, ici il est assez mal dosé. On s'attarde un peu trop sur le cadre naturel, on s'attarde également un peu trop sur la scène de l'auberge. On avait bien compris l'idée de communion mise ainsi en avant, c'était inutile d'étirer la scène de la sorte !
L'intrigue, elle aussi, à bien du mal à prendre de l'ampleur, sans doute la faute à des personnages mal exploités. L'épouse de Misawa, qui fait office de bonne conscience, reste beaucoup trop en retrait dans l'histoire. De ce fait, le dilemme qui ronge Misawa ressort assez mal à l'écran. On passera sur le personnage du daimyō qui ressemble plus à une sorte de vulgaire d'aboyeur qu'a ce sage un peu rustre décrit dans le film. Shirô Mifune manque de charisme et de justesse pour rendre son personnage attachant. Akira Terao, lui, s'en sort très bien dans son rôle de samouraï gagné par la zenitude ! On notera au passage la courte apparition, mais néanmoins sympathique, de Tatsuya Nakadai.
Film modeste, humble diront certains, Ame Agaru manque de consistance et de souffle pour tutoyer les grandes œuvres de Kurosawa. Mais il faut reconnaître que Koizumi s'en sort avec les honneurs en érigeant un film empreint de poésie et d'humanité.