Un très bon film. Que dire d'autre ? En sortant de la salle on ne peut qu'être conquis. Il faut dire qu'il y a tout ce qu'on aime dans Aquarius : un pays exotique et lumineux, de la musique, un rythme lent mais prenant, un peu de thriller, un peu de drame familial, un peu de récit de vie... comment ne pas succomber ? On n'a pas envie de quitter le film comme Clara n'a pas envie de quitter son appartement - c'est très cohérent en fait.


Malgré tout, il me semble qu'il y a quelque chose de manquant dans ce film qui pourrait sembler parfait. Je dirais que c'est comparable avec l'effet que me font les albums de Massive Attack - qui (dois-je le préciser ?) n'ont rien d'autre à voir avec le film. Comme chez Massive Attack, on se dit qu'il y a vraiment tous les bons ingrédients, que c'est pointu et populaire en même temps, mais malheureusement l'essai n'est pas tout à fait transformé. A quoi cela tient-il ? Je dirais que Mendonça Filho comme les Massive Attack veulent opérer un retour : revenir vers un art classique, tout en voulant rester moderne. Il y a donc une indécision profonde qui parcourt leurs oeuvres entre le récit (ou la chanson) et un mode d'expression débarrassé des structures conventionnelles. Mendonça Filho veut faire du cinéma moderne (substituer au récit un enchaînement arbitraire des événements, nouveau mode dans lequel la mise en forme devient prépondérante) mais ne croit pas assez en son art pour ne pas se débarrasser du récit - dans lequel il ne croit pas assez non plus puisqu'il n'ose pas véritablement le conclure, comme si une conclusion claire était forcément trop naïve ou trop simpliste.


Finalement, cet entre-deux a un nom : post-modernité. Il y a eu le cinéma classique, peu réflexif par définition, donc sûr de ses effets ; il y a eu le cinéma moderne, plus réflexif sans doute mais qui évitait la "suspicion" envers ses propres effets qui lui aurait fait perdre de sa force ; et puis il y a le cinéma post-moderne, bercé par la réflexivité, et qui n'est plus sûr de rien, limitant donc ses effets au minimum car n'osant plus assez croire en eux. Cette post-modernité est criante dans Aquarius comme dans Nocturama (et tous les films de Bonello), des films remarquables mais qui ne parviennent pas à dépasser les limites qu'ils se créent eux-mêmes. On notera un point commun qui saute aux yeux chez ces deux cinéastes : une utilisation fréquente de morceaux de musique créés, non pas pour le film, mais avant le film, et indépendamment de celui-ci. La musique n'est donc plus là comme dans le cinéma classique pour soutenir le drame, mais au contraire elle devient le drame. Et c'est là que le bât blesse, car le cinéma est beau en tant qu'il est cinéma et il ne doit pas se soumettre à la musique, sous peine de montrer ses limites. Utiliser la musique qu'on aime dans un film apparaît donc comme une facilité, une manière un peu tricheuse de faire passer l'émotion par un moyen autre que cinématographique. Difficile d'y voir autre chose qu'un aveu d'échec du cinéma.


Dépasser la dialectique classicisme/modernité est une tâche qui a trouvé peu d'artistes à sa mesure. On doit donc se contenter de films un peu bâtards comme Aquarius et Nocturama, ce qui n'est tout de même pas si mal.

Neumeister
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le 5 oct. 2016

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