Parce qu’il néglige la fonction pourtant essentielle de véhicule émotionnel qu’est l’acteur, Arachnophobie n’atteint jamais la puissance traumatique espérée. Ses araignées sont superbes, et le passage des spécimens authentiques aux animatroniques ne se remarque presque pas : nos monstres surprennent par la fluidité de leurs mouvements tout en alimentant un cauchemar qui va crescendo, jusqu’à l’affrontement final. En ce sens, le film reproduit le schéma instauré par Les Dents de la Mer : se saisir d’un personnage phobique – peur des araignées, peur de la mer – pour plonger le spectateur dans le chaos ambiant ainsi redoublé dans l’intériorité d’un être : la paranoïa qui saisit Martin Brody atteste la subjectivisation du point de vue dont les troubles génèrent une peur de chaque instant ainsi que des altérations de la perception. Chose curieuse, Frank Marshall n’exploite guère cette veine et préfère capter la phobie depuis l’extérieur. Ce faisant, il transforme le docteur Jennings en pantin comique assez dommageable, puisqu’il contraint le spectateur à voir et vivre la menace non par ses yeux, mais par l’omniscience de la mise en scène. Chez Steven Spielberg, le monstre surgissait de l’inconscient de Brody ou lors des confrontations directes avec lui. Ici, les araignées gagnent l’écran avant même que le héros ne soit introduit ; leur puissance mythique s’évapore aussitôt pour ne laisser, en lieu et place, qu’une terreur de la prolifération. Arachnophobie ne travaille donc pas tant la phobie que l’arachnide qu’il multiplie à l’infini pour en décupler force et impact. Voici une œuvre qui grouille, qui pique et mord, qui dessine des toiles géantes dans les greniers. Voici une œuvre qui aurait dû néanmoins prendre le risque de s’engouffrer dans l’inconscient de son personnage souffrant de phobie ; là se tenait le traumatisme véritable.