On n'est pas vraiment surpris d'apprendre que derrière le scénario d'Archimède le clochard, il y a entre autres un certain Jean Moncorgé, qui n'est rien d'autre que le vrai nom de Jean Gabin. Si l'on excepte les dialogues signés Michel Audiard, le film repose presque entièrement sur les épaules de l'acteur, particulièrement en forme dans la peau d'Archimède, ce clochard anar et lettré capable de réciter des poèmes d'Apollinaire autant que de causer mécanique et réciter le théorème portant son nom afin qu'on ne l'arnaque pas sur la quantité de gnôle qu'on lui verse dans un verre contenant des glaçons. On pourrait facilement l'écouter monologuer pendant des heures : "tout corps plongé dans un liquide subit une poussée de bas en haut égal au poids du volume du liquide déplacé : pas d'glace !"


Gabin a la gouaille parfaitement adéquate pour brosser le portrait paradoxal d'un clochard vivant dans un immeuble en construction, en pétard quand des ouvriers le réveillent trop tôt avec l'objet de leurs travaux, mais disposant d'un capital culturel largement supérieur à tous ceux qui l'entourent, clochards ou nantis. Ce décalage à fort potentiel comique est poussé à son paroxysme lorsqu'il s'invite dans l'appartement luxueux d'une riche bourgeoise pour lui rendre son petit toutou (préalablement volé par une tierce personne dans le but de récupérer un joli pécule comme récompense) : cette séquence est un festival de malentendus et de rapports de domination biaisés, voire inversés. L'éloquence et les connaissances d'Archimède lui permettent de prendre très facilement le dessus sur tous les riches notables qui le considèrent avec beaucoup de dédain, du haut de leur condition, sans imaginer le niveau de conscience dont il dispose. Cette configuration sera reprise lors de la séquence finale, dans laquelle il parviendra à ridiculiser policier et ex-militaire avec une malice dont on ne peut que se délecter.


Le portrait de ce marginal, aussi drôle soit-il, ne va pas uniquement dans le sens du bon vivant pétri de bonnes intentions et de bons jugements : il faut voir comment il est capable de ravager le café dans lequel il avait l'habitude de se désaltérer dans l'unique but de se faire envoyer en prison et ainsi passer l'hiver au chaud. Peine perdue, même la maréchaussée ne voudra pas de lui plus de huit jours... Même en essayant de perturber un défilé militaire et de foutre le bordel dans le métro, Archimède semble vacciné contre la prison. Sous les habits de clochard, le philosophe n'en finira pas de traîner son cynisme des troquets de Paris jusqu'aux plages méditerranéennes. Certes, les dialogues du père Audiard se font à ce sujet un peu trop insistants à certains endroits. Mais rester insensible aux colères de ce Gabin-là, râleur invétéré pourfendeur de la morale bourgeoise capable d'esquisser une petite danse sur la moquette d'un salon huppé particulièrement guindé, me paraît bien difficile.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Archimede-le-clochard-de-Gilles-Grangier-1959

Morrinson
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Mon cinéma français, Top films 1959, Réalisateurs / réalisatrices de choix, Mes comédies et Cinéphilie obsessionnelle — 2019

Créée

le 18 juin 2019

Critique lue 1.3K fois

7 j'aime

Morrinson

Écrit par

Critique lue 1.3K fois

7

D'autres avis sur Archimède le clochard

Archimède le clochard
Torpenn
6

Le clochard de vivre

Encore un Gabin-Grangier qui a les défauts de ses qualités, des dialogues savoureux par Audiard mais un peu appuyés, un Paris nocturne délicieux jusqu'au cauchemar, des trognes en seconds rôles qui...

le 6 mars 2014

22 j'aime

5

Archimède le clochard
Hypérion
7

Vous avez la gueule de travers et la mentalité biscornue...

"Archimède le chochard" suit le parcours d'un sans domicile fixe truculent, ayant en horreur l'idée de dormir sous un des nombreux ponts de Paris. L'hiver approchant, il n'a que deux solutions...

le 4 oct. 2012

19 j'aime

2

Archimède le clochard
Boubakar
7

Gabin le clochard.

C'est un film que j'ai bien aimé, mais dont je ne comprends pas où il veut en venir. L'histoire est celle d'un clochard, avec ses principes, qui veut aller en prison pour passer l'hiver au chaud...

le 20 oct. 2013

8 j'aime

2

Du même critique

Boyhood
Morrinson
5

Boyhood, chronique d'une désillusion

Ceci n'est pas vraiment une critique, mais je n'ai pas trouvé le bouton "Écrire la chronique d'une désillusion" sur SC. Une question me hante depuis que les lumières se sont rallumées. Comment...

le 20 juil. 2014

142 j'aime

54

Birdman
Morrinson
5

Batman, évidemment

"Birdman", le film sur cet acteur en pleine rédemption à Broadway, des années après la gloire du super-héros qu'il incarnait, n'est pas si mal. Il ose, il expérimente, il questionne, pas toujours...

le 10 janv. 2015

138 j'aime

21

Her
Morrinson
9

Her

Her est un film américain réalisé par Spike Jonze, sorti aux États-Unis en 2013 et prévu en France pour le 19 mars 2014. Plutôt que de définir cette œuvre comme une "comédie de science-fiction", je...

le 8 mars 2014

125 j'aime

11