Argylle
5.1
Argylle

Film de Matthew Vaughn (2024)

Qui a volé le Mojo de Matthew Vaughn ?

Grand fan de Matthew Vaughn depuis "Kick-Ass" (j'avais déjà beaucoup aimé "Layer Cake" et "Stardust" sans avoir percuté qu'il s'agissait du même réalisateur), j'ai suivi son parcours, et sa montée en puissance, avec intérêt.

Après avoir renouvelé le film de super-héros, aussi bien avec "Kick-Ass" qu'avec "X-Men : First Class" (le meilleur film de la saga à mon avis), le Monsieur a eu le bon goût de refuser de réaliser les suites de ses succès pour se frotter au film d'espionnage avec l'excellent "Kingsman : Services secrets".

Je pensais naïvement que ce n'était que le début d'une grande carrière de cinéaste, à la fois doué techniquement, décomplexé en matière de divertissement et porté par une volonté d'originalité et un sens du style qui ferait de lui une sorte de mix entre Quentin Tarantino, Guy Ritchie et Edgar Wright.

Et puis il a décidé de s'atteler à "Kingsman : Le cercle d'or".

Même si le résultat reste plutôt correct, plein d'idées fun et surprenantes, avec même un sous-texte intéressant au sujet de la drogue : on est très loin de la qualité et de l'efficacité du premier volet, qui avait pour lui la fraicheur de la nouveauté, celle de Taron Edgerton et celle d'arriver à un moment où le film d'espionnage classique était devenu un peu trop sérieux.

Cette suite était non seulement trop longue, trop riche en personnages (et en stars), en action, en péripéties, en idées visuelles tape-à-l'oeil (le fameux plan pénétrant à l'intérieur de Poppy Delevingne pour n'en citer qu'une) et en rebondissements foireux (le retour de Colin Firth étant le plus évident et, en même temps, le plus malheureux, tant il gâche l'une des meilleures surprises du premier film).

Si je vous parle autant de Kingsman 2 (je vais éviter de parler du préquel "The King's Man"), c'est parce que tous les défauts que je pouvais reprocher à ce film ne sont rien par rapport à ceux de celui qui nous intéresse aujourd'hui.

Non seulement "Argylle" est le 4ème film d'espionnage à la suite pour Vaughn (si on ne compte pas "X-Men : First Class" comme un film d'espionnage, bien qu'il en ait beaucoup d'aspects), ce qui commence à faire beaucoup, mais surtout il pousse encore plus loin tout ce qui n'allait déjà pas dans ses précédents films.

Je vais quand même commencer par tout ce qui va dans "Argylle" (parce qu'il y a du bon, oui) : Personnellement j'ai trouvé le concept plutôt sympa. L'idée de confronter une autrice de livres d'espionnage un peu cul-cul à la réalité de ce qu'elle raconte n'est pas originale pour un sou (on l'a même vu récemment dans le médiocre "Secret de la cité perdue" avec Channing Tatum, Sandra Bullock et Brad Pitt) mais peut donner lieu à des réflexions intéressantes ou des séquences ludiques sur le contraste entre réalité et fiction, sur le processus d'inspiration dans l'art ou bien d'autres choses.

Pour ce qui est des scènes d'action, il n'y a pas à dire : Vaughn aime ça. Il aime donner du plaisir au public et ça se voit. Certaines scènes sont réellement réussies visuellement.

Je trouve également que mettre en avant, dans la promo, les personnages fictifs, et les stars qui les interprètent, finalement peu présentes, était a priori une bonne manière de brouiller les pistes et de surprendre le spectateur sur le réel contenu du film. Il y a même un côté un peu "doigt d'honneur aux fans" qui fait plaisir au sale gosse qui est en moi.

Malheureusement, "Argylle" se sabote lui-même en ne faisant finalement aucune différence entre le traitement de la fiction et de la réalité, aucun des deux ne cherchant jamais à être crédible. Les scènes d'action s'enchaînent autant que les rebondissements, tous aussi prévisibles les uns que les autres (à une ou deux exceptions près) et, bien que tous les artifices soient sortis pour éviter l'ennui, le film semble interminable.

Il faut dire que, malgré le talent des acteurs, le scenario est si grossièrement écrit et si banal qu'on a du mal à s'attacher aux personnages, même aux principaux. Bryce Dallas Howard et Sam Rockwell sont pourtant parfaits mais l'alchimie ne prend pas vraiment et leurs personnages restent si difficiles à cerner et, par conséquent, superficiels, qu'on finit par se moquer de leur sort. Ceci est accentué par le fait qu'on sait pertinemment comment tout ça finira (et désolé pour le spoil mais ça finira exactement comme on s'y attendait).

A aucun moment je ne me suis senti impliqué émotionnellement dans cette histoire qui a l'air de se croire originale alors qu'elle ne fait qu'emprunter (pour ne pas dire plagier) tous les clichés des films d'espionnage, de James Bond à Jason Bourne en passant par "Mission Impossible" ou même "Night and Day", la médiocre comédie d'espionnage avec Tom Cruise et Cameron Diaz dont le synopsis est assez similaire. On pense également à "A la poursuite du Diamant vert" ou au moins connu "Cypher".

Si au moins il s'agissait d'une parodie assumée, pourquoi pas, mais non, "Argylle" n'est ni "Austin Powers" ni "OSS 117" ni même "Kingsman" bien qu'il semble se prendre pour une réinvention du genre, pour un film de petit malin qui irait à contre-courant des attentes et proposerait quelque chose de génial, d'ultra-rafraichissant.

On peut reconnaitre que le duo Howard-Rockwell sort de l'ordinaire et des standards de beauté habituels, c'est vrai. Et c'est vraiment appréciable, même si voir la pauvre Bryce Dallas affublée d'une perruque blonde platine et d'une robe beaucoup trop moulante pour elle n'est pas forcément du meilleur goût visuellement, je salue l'intention et le geste. Henry Cavill est parfait en caricature de James Bond gardant sa classe et son sérieux en toutes circonstances, mais il est logiquement peu présent au final. Catherine O'Hara et Bryan Cranston s'en sortent également pas trop mal malgré des rôles trop peu creusés par rapport à leur potentiel. Quant à John Cena, Samuel L. Jackson, Dua Lipa, Ariana Debose ou Sofia Boutella, ils n'ont pas grand chose à jouer et semblent eux-même ne pas savoir ce qu'ils font là.

En fait, c'est surtout ça qui agace. Je ne peux pas dire que j'ai passé un mauvais moment devant ce film car il y a régulièrement des choses divertissantes (je me suis même surpris plusieurs fois à me dire "En fait ça va, c'est pas si mal") et des idées qui donnent envie de voir la suite, mais justement la suite est quasi-systématiquement décevante, que ce soit un rebondissement qu'on voit arriver de loin, ou bien l'abandon d'une piste de scenario intéressante.

On passe d'une scène d'action magnifique (celle avec les gaz colorés) à une autre banale, attendue, voire totalement ringarde, d'une ligne de dialogue percutante à une vanne qui tombe à plat... Et c'est comme ça pendant tout le film.

Chaque bonne idée est annulée par celle qui suit. Et à force de vouloir surprendre à tout prix, on finit par s'attendre à tout et donc à ne jamais être vraiment surpris.

Ce qui faisait la force de "Kick-Ass" ou de "Kingsman" c'était la qualité d'écriture des personnages, le fait qu'au delà de l'esprit fun et parfois décérébré de l'action, on pouvait s'identifier, comprendre les motivations et s'attacher à Dave, à Mindy, à Big Daddy, à Eggsy ou à Harry... Je n'ai absolument pas ressenti ça avec Elly ou Aidan.

Les films précédents possédaient aussi un certain équilibre, précaire mais tenu, entre humour et gravité, entre fantaisie et réalisme, qui relevaient apparemment plus du miracle que de la recette ou du talent de leur metteur en scène.

J'aurais tellement aimé aller à contresens de l'avis général en défendant ce film, dire que les gens n'ont rien compris et qu'il s'agit d'une critique acerbe du système hollywoodien, se moquant des blockbusters et des franchises type MCU avec leurs scenarios décevants, leur fan service et leurs scènes post-génériques teasant des suites à n'en plus finir... Mais, malgré des qualités importantes, force est de constater qu'il s'agit d'un ratage en bonne et due forme, qui tombe à peu près dans tous les pièges possibles et qui se moque surtout du spectateur.

Le bon côté des choses c'est que l'échec, à la fois critique et commercial, de "Argylle" permettra peut-être à Matthew Vaughn de laisser tomber ses ambitions de franchise (déjà bien bancale) et de se concentrer pour trouver un nouveau souffle à sa carrière, et retrouver enfin son Mojo.

Meuk-Meuk
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le 12 févr. 2024

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