On peut toujours compter sur les Nazis pour rendre une histoire palpitante. C'est tout ce qu'on peut leur trouver de bien, je suppose. Parce que ce documentaire sur le Dr. Ruth, s'il est bien sympa, n'aurait pas eu la même portée sans le drame vécu par la pétillante nonagénaire dans son enfance : la disparition de ses parents quand elle avait 10 ans, et leur probable exécution dans un camp de concentration. Ils avaient eu la bonne idée de la mettre à l'abri en Suisse un peu auparavant, et elle n'a déduit leur destin tragique que de l'arrêt soudain de leurs lettres. Une béance jamais vraiment cicatrisée, qui trouvera son explication définitive des décennies plus tard grâce à un institut qui a retracé le destin de tous les Juifs persécutés par les Nazis. Une scène étonnante, qui montre la solidité du masque que la petite Karola s'est fabriqué : quand, très âgée, elle découvre que son père a été assassiné, pas un muscle de son visage ne bouge, rien ne transparaît. Les Nazis ont créé des superguerriers, mais pas entre leurs rangs, comme ils l'auraient rêvé... Grâce à ce qu'on appellerait aujourd'hui sa capacité de résilience, Karola est devenue le Dr. Weitheimer, dont les Américains ont fait le fameux Dr. Ruth, un puits sans fond de bonne humeur et de franchise, qui leur a fait découvrir ce qui sommeillait au fond de leur slip. Car elle a déployé une activité frénétique, participant à tous les shows qu'on lui proposait, pour répandre la bonne parole : oui, on pouvait parler de sexe ouvertement et s'attaquer aux problèmes qu'on trimballait depuis la puberté. Pour ma part, je l'ai découverte dans un film français des années 80, Une femme ou deux, de Daniel Vigne, en compagnie de Gérard Depardieu et Sigourney Weaver. C'est dire si elle a su profiter de sa notoriété. Un personnage hors du commun, donc, haute comme trois pommes, mariée trois fois, mère de deux enfants, grand-mère hyperactive, infatigable héraut d'une sexualité libérée des tabous, défenseuse des minorités, actrice du planning familiale, et j'en passe. Ça valait bien un documentaire.