Avant toute chose, ouvrons notre critique sur une contextualisation historique en deux paragraphes.
De nos jours et à quelques exceptions prés, le cinéma américain, Walt Dinsey en tête, règnent sur le marché des long-métrages d'animations destinés au cinéma. Mais il n'en a pas toujours été ainsi. Dans les années 50, 60 et 70, de nombreux studios d'animation émaillent la France et la Belgique. Dérivé naturel des nombreuses bandes dessinées de l'endroit, cette multitude comprend ainsi notamment les studios Belvision (dont les plus célèbres réalisations restent "Le Lac aux Requins", "Le Temple du Soleil" et "La Flûte à 6 Schtroumpfs"), les studios Idéfix (qui hélas ne produisirent en tout et pour tout que deux films : "Les 12 Travaux d'Astérix" et "La Ballade des Dalton")… et les studios Dargaud Film.

Après un essai peu convaincant chez Belvision, qui aboutit à "Astérix le Gaulois", c'est vers ces derniers que se tournent les célèbres Goscinny et Uderzo pour adapter leur célèbre bande dessinée "Astérix" dans ce qui sera leur troisième prestation animée après "Deux Romains en Gaule" et le déjà cité "Astérix le Gaulois". Pour les assister dans la réalisation du projet, qui sera adapté de l'album "Astérix et Cléopâtre", c'est vers leur ami de longue date Pierre Tchernia, déjà réalisateur de "Deux Romains en Gaule", qu'ils se sont tournés. Ensemble, les trois compères révisent donc le scénario pour fournir un storyboard détaillé, qui sera amélioré puis animé par l'équipe de Dargaud Film.

Ceci fait, scindons la critique proprement dite en plusieurs segments; le premier étant consacré au scénario, le deuxième à la bande sonore, et le dernier à l'animation. Le tout sera complété d'un appendice sur les éditions vidéo du film.

Attaquons donc le scénario, assurément le point fort du film. Partant de l'album déjà salué comme un sommet de la série de BD, Tchernia et Goscinny modifient de nombreux détails qui, s'ils sont admirables sur le papier, rendraient moins bien sur écran, et en ajoutent d'autres, que Goscinny a eu entretemps. Premièrement, la séquence de l'Espion est entièrement transformée: dans l'album, les gags sur l'Espion ont trait à la naïveté de son déguisement, qui arrive pourtant inexplicablement à tromper tous les protagonistes. Dans la version animée, ils ont eu l'idée de génie de lui adjoindre des propriétés de caméléon: il arrive inexplicablement à se fondre dans le décor, ses habits prenant la couleur et même le motif du fond devant lequel il se trouve ! Une séquence entière est elle ajoutée, celle où César envoie trois mercenaires triplés, musclés et assez stupides enlever le druide Panoramix. Remarquables de drôlerie, comme tout le scénario d'ailleurs, sont aussi les séquences musicales (nous reparlerons de leur aspect purement mélodique plus tard, nous nous concentrons ici sur le sujet des séquences) totalement inédites comme "Le Pudding à l'Arsenic", la "chanson du vilain" (passage obligé des films d'animations depuis Disney) d'Amonbofis; "L'appétit vient en mangeant", parfaitement inutile, elle, à l'intrigue, mais qui répond à la séquence des éléphants roses de "Dumbo" (1940) par un délire visuel jubilatoire; ou encore "Le Bain de Cléopâtre". Cette dernière est intéressante à plus d'un titre. D'abord, comme on le sait, la bande dessinée à l'origine du film était une parodie ouverte du film "Cléopâtre" de Manckiewickx, qui comprenait bel et bien une séquence du "bain de Cléopâtre" que Goscinny et Uderzo n'avaient pas retenue dans l'album. Ensuite, et surtout, elle offre son moment de gloire au Lion de Cléopâtre, qui a d'ailleurs son propre chant "C'est le lion de Cléopâtre", un personnage présent dans la BD comme figurant mais qui devient ici la source d'innombrable gags, volant même parfois la vedette à sa maîtresse. Dans le même registre figurent les Pirates, présents dans la BD en tant que caricatures d'une autre série de BD publiée dans le même magazine qu'Astérix, les aventures du pirate Barbe-Rouge. L'auteur de la série en question avait laissé dire pour la bande dessinée, mais s'opposa visiblement à ce que la plaisanterie continue au cinéma: c'est donc de pirates totalement nouveaux et extrêmement drôle que nous gratifie le film. Le Perroquet et le Capitaine se détachent du reste de l'équipage, plutôt dépersonnalisé.

Cette partie de la critique étant complétée, passons à la bande sonore, aussi irréprochable que l'aventure qu'elle illustre. Les chansons, œuvres de Gérard Calvi, égalent et parfois dépassent celles du studio Walt Disney, pourtant bien connu dans ce domaine (qui ne se souvient pas de la ritournelle du crocodile dans "Peter Pan" (1953) ou de "Un joyeux non-anniversaire" dans "Alice au Pays des Merveilles" (1951) ?). Les musiques d'ambiance, du même compositeur, sont tout aussi agréables à entendre. Pour ce qui est des voix, elles sont tout aussi réussies que les musiques et le reste d'ailleurs à l'exception du seul défaut du film, que nous aborderons paragraphe suivant. On retrouve avec joie l'excellent Roger Carel en Astérix (il en a d'ailleurs été le seul doubleur de tous les temps: au moment où j'écris ces lignes, l'acteur, âgé de 87 ans et normalement à la retraite, a pourtant décidé de son propre chef de reprendre du service sur le nouvel opus animé du gaulois moustachu, "Le Domaine des Dieux") et en Idéfix (oui, oui, en Idéfix; comme révélé lors d'interviews, c'est Carel qui réalisait les bruitages pour le petit chien d'Obélix), et les talentueux Jacques Morel en Obélix et Pierre Tornade en Abraracourcix. Lucien Raimbourg reprend aussi son rôle en Panoramix. La vraie révélation vocale de l'opus est l'excellente Micheline Dax en Cléopâtre, qui sert merveilleusement la personnalité excentrique de la reine, oscillant entre le légèrement vulgaire et de grands aires de tragique shakespearienne, des tirades comme "Ô cœurs remplis de haine ! Je saurais vous montrer comment meurt une reine" alternant avec des répliques beaucoup plus banales prononcées avec d'irrésistibles intonations parigottes… 

Et voilà: nous en arrivons au seul défaut du film, son animation. Le graphisme et les expressions des personnages ne souffrent d'aucune critique, pas plus que les décors ou la mise en couleurs. Mais en revanche, la fluidité des mouvement est pour ainsi dire absente, et l'on voit hélas bien qu'il ne s'agit pas d'un effet de style (comme par exemple dans la série télévisée "Les Pierrafeu" où ces mouvements saccadés font partie intégrante du graphisme) mais d'un manque de budget, qui réduit quasiment à néant les effectifs des "inbetweeners" en jargon disneyen, soit intervallistes, des gens à qui l'on confie les dessins des animateurs professionnels — de vrais artistes, eux —, qui sont au nombre, disons, de 10 par secondes, entre lesquels les intervallistes doivent à grand renfort de calques intercaler des dessins montrant la position intermédiaire entre deux créations du maître jusqu'à porter le nombre d'images-secondes à 24. Les mouvements sont donc saccadés, et l'animation secondaire, absente (pendant une tirade d'un personnage, il n'est pas rare que son interlocuteur reste parfaitement statique, simplement pour faire des économies).

En résumé, "Astérix et Cléopâtre" est un film admirable mais qui souffre de la piètre qualité de l'animation. Il n'est pas réservé aux enfants comme trop de gens tendent à le croire, et est comme sa série-mère à double lecture: tout le monde peut l'adorer !
APPENDICE SUR LES EDITIONS: Pourquoi tant de haine ? ''Astérix et Cléopâtre'' est fort mal servi par ses différentes éditions. Les VHS étaient de bonne qualité mais ont deux des défauts propres à la qualité de cassette vidéo, qui sont de s'abîmer après une quinzaine de visionnage d'une part et de ne pas pouvoir contenir de bonus d'autre part. Les éditions DVD récentes, elles, sont encore pire: loin de tirer parti de leur capacité à avoir des bonus, nous sommes chanceux si nous y découvrons ne serait-ce qu'une minuscule bande-annonce (même pas d'époque, d'ailleurs) pour tel ou tel autre film d'Astérix, ou de n'importe quoi d'autre d'ailleurs, pourvu que ce film soit édité par le même distributeur. Pour des raisons probablement mauvaises et parfaitement inexplicable, on a coupé certaines scènes du film, dont le célèbre jeu de mot entre Numérobis et Panoramix:

NUMEROBIS: Je suis, mon cher ami, très heureux de te voir.

PANORAMIX (à Astérix, désignant Numérobis): C'est un alexandrin.

Enfin, pour des raisons commerciales, le format de film, initialement en 4:3, a été remonté en 16:9, ce qui coupe le haut et le bas de l'image, dans la majorité des éditions. Bref, la conduite la plus sage est d'attendre une diffusion télévisée du film et de l'enregistrer VOUS-MEME.

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le 17 janv. 2015

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Scrooge_MacDuck

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