C'est un film exemplaire, assez typique des années 1970 et de la contestation du capitalisme fasciste. C'est un constat amer et prophétique de l'Italie pré-berlusconienne, et aussi une ode à la justice impartiale. C'est aussi une comédie, par moment.

Une jeune nymphette (celle qui racole sur l'affiche) est retrouvée morte chez elle, avec les traces d'un médicament et des marques de coups. C'était une cocotte entretenue par Santenocito (V. Gassman), un industriel et promoteur assoiffé de pouvoir, corrupteur et fascisant, qui se démène pour avoir un alibi. Mais c'est sans compter sur un des rares juges intègres de Rome, Bonifazi (Ugo Tognazzi).

C'est le deuxième Dino Risi que je vois, et comme d'habitude il y a deux choses qui me rebutent, mais commençons par le contenu, qui est ici excellent.

La critique du capitalisme sauvage est bien rendue : le palais de Justice s'effondre parce que les promoteurs n'ont pas respecté les normes, du coup le juge fait ses interrogatoires dans une caserne où il n'y a pas d'eau courante. Les routes créées par l'entreprise Santenocito sont défoncées. Son manoir est un mélange de palais romain, de Versailles et de salon design. L'usine qui fait des bulles qui tuent les poissons et les mouettes qui les mangent.

Il y a aussi la critique de la corruption sociale : les escort-girl, carrément proposées sur catalogue, avec réception au bord d'une piscine pour amadouer le pigeon américain. Certains juges, sous couvert d'aider Bonifazi, sont des incapables. Les flics qui renoncent à arrêter Santenocito tellement il fait sauter les PV et se vengent sur un bus.

Il y a beaucoup de scènes mémorables : la scène de comparution où Santenocito n'a pas eu le temps d'enlever son déguisement de général romain ; la scène où il refuse de prendre deux jolies hippies, mais prend un pauvre babacool juste pour le plaisir de l'engueuler, pour se rendre compte qu'il parle à un anglais (ou pas) ; la scène de comparution des parents de la nymphette, veules à en vomir, qui se voilent la face sur le métier de leur fille ; celle du majordome homo qui brise le deuxième faux alibi de Santenocito. Il y a aussi des scènes poignantes, comme celle de l'embarquement du grand-père, qui a refusé de donner le premier alibi, par le personnel d'un asile. Et puis la séquence finale, où le juge, qui hésite face à une pièce à conviction qui innocenterait Santenocito, se retrouve perdu au milieu d'une foule décérébrée qui fête la victoire italienne au foot. Très amer, très sombre, très bien.

Venons-en aux deux points qui me retiennent. Si le contenu est excellent, le film repose sur la confrontation de deux acteurs, Gassman et Tognazzi. Une scène marquante est celle où ils philosophent et se tendent des pièges sur une plage couverte de détritus et arrosée de pluie. Tognazzi offre une interprétation riche, assez ambigue, là où Gassman est tout d'une pièce, comme à son habitude. Peut-on même appeler cela surjouer ? Je ne sais pas. Côté physique, il est convaincant (c'est drôle, d'ailleurs, il fait parfois penser à De Niro, parfois à Charlton Heston). Mais la verbosité du personnage est excessive. Vraiment, Gassman, je ne peux pas.

Le deuxième point, c'est ce manque d'unité de ton qui me déroute toujours chez Risi, que je peux comprendre en bande dessinée mais difficilement au cinéma. Comment peut-on faire à la fois une comédie à la musique détendue et en même temps une analyse sociale aussi sombre ? Je conçois que c'est possible, mais il y a quelque chose au niveau du rythme qui ne me convaint pas totalement.

Bref, c'est le meilleur Risi que j'ai vu pour l'instant, et il me donne envie de regarder plus loin, mais le plaisir ne fut pas sans mélange. Peut-être qu'avec le temps j'apprendrai à aimer...
zardoz6704
7

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le 9 févr. 2013

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