Critique initialement publiée sur CloneWeb.net
Les citations sont issues d'une rencontre avec Albert Dupontel à laquelle j'ai assisté.


Quand il n’affiche pas sa gueule de cinéma devant les caméras de ses confrères, Albert Dupontel réalise. Quatre ans après l’hilarant Neuf Mois Ferme, le voici aux commandes d’Au Revoir Là-Haut, film basé sur le roman éponyme de Pierre Lemaitre paru en 2013 et lauréat du Prix Goncourt pour ne citer que cette récompense-là. Un sujet compliqué à mettre en images.
Que le réalisateur s’approprie pour livrer l’un des plus beaux films de l’année.


Au Revoir Là-Haut raconte l’histoire de deux hommes, Maillard et Péricourt. On est en pleine Première Guerre Mondiale dans les tranchées. L’un va secourir l’autre mais pas sans conséquence puisqu’il va être défiguré par l’explosion d’un obus et perdre le bas de son visage. Ils vont s’entraider pour rentrer à Paris et faire croire que Péricourt est mort. Fils de bourgeois, rejeté par sa famille et désormais handicapé de guerre, il ne veut pas les revoir. Mis au banc de la société mais ensemble, ils vont monter une arnaque pour gagner beaucoup d’argent et espérer pouvoir quitter la France. Mais le monde parisien est petit et les choses ne seront pas si simples.


On n’en dira pas d’avantage pour ne pas spoiler un sujet riche que Dupontel maitrise parfaitement en terme de narration. Celui qui avait commencé sa carrière de réalisateur avec des “petits” projets prend ici son envol et livre une réalisation impeccable. Entre plans rappelant la fameuse séquence du Panic Room de David Fincher et utilisation raisonnée d’effets numériques, le réalisateur fait exploser son talent. Mais ce n’est pas un challenge particulier pour lui, seulement un sujet qui s’y prête. Il explique : “En France, on est toujours attaché au schéma vieillissant de la Nouvelle Vague. Quand j’étais plus jeune, je me retrouvais plus dans les films de Terry Gilliam ou des frères Coen où les gens racontent leur histoire avec la caméra, qui devient une grammaire. Le livre de Pierre permet une certaine subjectivité qui se transcrit à l’écran par des mouvements de caméra, plongées, contre plongées, travelling. J’ai beaucoup travaillé ces séquences, surtout avec les cadreurs, aidés par le numérique qui permet des plans séquences invraisemblables, dont on ne voit pas les coupes.” Albert Dupontel dit s’être inspiré de plans séquences de vieux classiques : La Soif du Mal, d’Orson Welles, The Player de Robert Altman ou encore Les Ailes de William Wellman (1927) qui se déroule pendant la Guerre.


Le boulot de réalisation étant sans doute ce que la France a fait de mieux cette année, nous avons demandé au réalisateur s’il y avait un quelconque challenge pour lui, puisque chacun de ses films semblant encore plus travaillé et soigné que le précédent. Il répond, citant Henri Laborit : ” “L’intelligence se fout de la compétition.” J’essaye d’être intelligent. Le film appelle simplement cette mise en scène, très lyrique, sensuelle. J’aime l’image et le récit s’y prête. Quand j’ai fait Bernie avec dix fois moins de bduget, c’est parce que le film s’y prêtait.” Il complète : “L’envie d’image est aussi là pour combler des lacunes d’auteur. Je suis un auteur assez redondant, et la caméra permet d’agrandir le propos (…) Le prochain film sera beaucoup plus modeste en terme de production, et je me retrouverais donc dans un schéma narratif beaucoup plus sobre, on fera des choses différentes, de nuit. J’entrevois des éclairages sodium, des couleurs diférentes. Mais c’est un désir, plus qu’une compétition.”


Si le héros du film est bien Maillard, que Dupontel ne devait au départ pas incarner lui-même mais son acteur lui a fait faux bond, vous serez subjugué par le jeune Péricourt, incarné sous le masque par Nahuel Pérez Biscayart, lui-même accompagné par la toute jeune Heloïse Balster qui lui sert aussi bien de voix que de Jiminy Cricket. Ce trio, ce sont des mis de coté par une société qui ne pense qu’à elle, entre le chef d’entreprise qui a ses entrées au gouvernement ou le gendre arriviste prêt à relancer une guerre uniquement pour arriver à ses fins. Oui, Au Revoir Là Haut a dans ses thèmes quelque chose de foncièrement contemporain, un monde où les gens ne se disent pas suffisamment qu’ils s’aiment.


Le jeune acteur principal argentin ne vous est pas inconnu puisqu’il a été récemment à l’affiche de 120 Battements par Minute. Albert Dupontel l’a trouvé “par casting” après avoir galéré à trouver le bon acteur. “Il est arrivé avec ses yeux bleus, sa mine ironique et sa façon de bouger et j’ai senti que j’avais un client. On a beaucoup travaillé ensemble, je lui ai fait lire le scénario mais pas le livre. C’est une bonne trouvaille, un acteur extrêmement pro pour son jeune âge, très travailleur, très à l’écoute. Et à l’arrivée, son jeu n’était plus que ses yeux et sa gestuelle. En plus, il a étendu sa sociabilité à la petite fille et leur amusement à tous les deux était très intéressant. J’ai pu surprendre la gamine que Nahuel amenait spontanément devant la caméra. C’est une perle, ce jeune acteur.”


Il faut aussi parler des masques qu’il porte tout au long de l’histoire, des masques qui allaient de pair avec l’humeur, les émotions du personnage ou la situation. Aucun choix n’était fait innocemment. Ils ont été conçus en ayant en tête que Péricourt est un artiste et que donc il connaissait tous les mouvements de l’époque. Fantômas de Pierre Souvestre et Marcel Allain était également contemporain des personnages pour ne citer que lui. “Les références sont multiples, l’époque était extraordinairement riche en création. Le personnage est au courant de tout ça, ce qui a donné des références à notre sculptrice” explique Albert Dupontel. “Dans le livre, il se fait des masques pour cacher sa déformation. Mais comme dans le film, c’est mon héros romanesque, le personnage qui me fascinait le plus, on lui fait sortir des masques très jolis.”


Avec tous ces éléments Albert Dupontel livre un grand film, capable d’évoquer la guerre, la mort, les histoires de rejets de famille et de société tout en le faisant avec beaucoup d’humour, de tendresse et pas seulement de l’émotion pour de l’émotion. Au Revoir Là Haut est une véritable tragicomédie à l’image des films du maitre du réalisateur, Charlie Chaplin. Du vrai beau cinéma comme on aimerait en voir plus souvent.

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le 6 oct. 2017

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