Au secours !
6.4
Au secours !

Film de Richard Lester (1965)

Help !, Richard Lester, Grande-Bretagne, 1965, 1 h 32

Seconde incursion au cinéma pour les Beatles, et c’est de nouveau un pari gagnant. Également réalisé par Richard Lester, « Help ! » se présente à la fois comme une œuvre plus mature, mais aussi beaucoup plus absurde. Paradoxalement, ce film se montre plus sérieux, en un sens, que son prédécesseur, tout en demeurant plus loufoque. Il frôle par moment un visuel cartoonesque hors du temps, qui place le récit dans une espèce de monde alternatif complètement barré. La mise en scène, davantage maîtrisée, abandonne même le côté ciné-vérité pour se trouver un style très britannique, auquel la couleur apporte beaucoup.


Le principe du métrage s’avère relativement identique à celui de « A Hard Day’s Night », dans le sens où c’est de nouveau le quotidien des Beatles qui est présenté. Le récit plonge même un peu plus dans leur intimité, puisque l’ont découvre notamment leur lieu de résidence, sortie tout droit d’une planche de BD. Les membres du groupe deviennent ainsi les héros d’un univers fantaisiste, parfaitement cohérent, qui offre un contexte des plus crédibles à l’ensemble. Avec un cachet très pop, présent dans des décors psychédéliques et colorés, l’impact des années 1960 se ressent particulièrement bien,


Rien que le postulat de départ, qui nourrit toutes les péripéties (et elles sont nombreuses), se montre totalement décalé. Ringo devient la cible d’un culte occulte, qui a besoin d’un anneau sacrificiel pour mener à bien une cérémonie. La bague en question, récente acquisition du batteur, est ce qui le confronte à de multiples agressions et tentatives de kidnapping. Bien entendu, les autres membres du groupe se retrouvent également victimes de tout ça, et cherchent des solutions pour mettre fin à cette folie. Le problème : il est impossible de retirer la bague du doigt de Ringo, ce qui permet une avalanche de gags en tout genre.


Avec une énergie incroyable, le film redouble sans cesse d’efforts pour mettre ses personnages dans des situations burlesques, hors de tout sens commun, et ça marche. La nature cartoon live de « Help ! » façonne une esthétique qui se retrouve par la suite dans la comédie britannique, et même au-delà. L’humour fracassant, totalement dénudé de tout ancrage dans la réalité, compose un récit qui n’existe que pour mettre en danger les Beatles. Ces derniers se retrouvent ainsi plongés dans les plus improbables des expériences. Mais le plus fort dans tout ça, c’est que le film est toujours très drôle, et il est impossible de s’ennuyer une seule seconde, tellement tout s’enchaine à un rythme soutenu.


Bien entendu, toutes ces péripéties s’entrecoupent de petits moments de pauses, grâce à des séquences musicales. Mais là, encore, la plupart de ces séquences, plus travaillées que dans « A Hard Day’s Night », se retrouvent dans la diégèse du film, pour servir le récit d’une manière ou d’une autre. « Help! » résulte d’un tout composite, qui se paye au passage le luxe de proposer une bande originale culte, entrée elle aussi dans la culture populaire.


Plus convaincants également, John, Paul, George et Ringo apparaissent plus à l’aise dans leur costume d’acteurs. Avec un naturel en opposition à l’irréalisme du film, ils apportent ce flegme si caractéristique à la comédie britannique, qui annonce une fois de plus la révolution humoristique des Monty Python, quatre ans plus tard. Il y a une véritable corrélation entre ces deux groupes, qui se retrouvent dans des délires dépassant les cimes du non-sens, par l’expression d’un absurde déjanté. Pour les uns, c’est dans le comique que leur influence explosera, quand pour les autres c’est dans une musique de plus en plus exigeante, qui apparaît en toute logique dans leur quête de franchir toujours un peu plus les limites.


Bien plus qu’un « film des Beatles », « Help ! » c’est une œuvre cinématographique avec un potentiel irrévérencieux inaltérable. Si aujourd’hui cela peut paraître un peu « gentil », en 1965, c’est une image de véritables rebelles farceurs qui dessinent les personnages. Et s’ils apparaissent encore dans leurs habits de gendres idéaux, il est possible de déceler ici l’orientation que prendra la formation dans les années à venir. L’expérimentation, le refus du conformisme fera sortir les Beatles d’un rôle de groupe pop à succès, pour leur ouvrir grand les portes de la légende, comme un groupe de rock influent. Mais leur impact n’est pas réservé à la musique, à mesure que les quatre musiciens pulvérisent à leur manière la notion de pop culture.


Les années 1960 constituent un véritable laboratoire d’expériences, bien plus que les années 1970, qui apparaissent comme l’écho terni de la précédente décennie. Entre 1960 et 1969, l’establishment se casse progressivement la gueule, le conformisme est mis à rude épreuve et le monde sorti des fifties s’effondre sur lui-même. Ce qui est encore dénommé « Contre-Culture », appelée à devenir la pop culture, la nôtre, touche peu à peu un Occident dirigé en majorité par des personnes nées au XIXe siècle. Ces vieux conservateurs dépassés ayant vécu deux guerres, et pour qui « valeurs et traditions » sont les uniques mamelles d’une société malade.


En débarquant avec leur musique issue de l’héritage afro-américain, les Beatles s’inscrivent ainsi à contre-courant d’une société en déclin. Ils incarnent ce changement de direction, et s’ils ne sont pas les seuls héritiers d’une longue tradition contestataire, leur succès international leur donne une tribune sans précédent. Alors qu’ils auraient pu se contenter de ce rôle, le fait qu’ils expriment leurs persona dans des productions cinématographiques, les élèves un cran au-dessus. Surtout, la musique ne représente pas forcément l’attrait principal d’une œuvre comme « Help ! », dont la dynamique se repose avant tout sur un sens aigu de la comédie abyssalement absurde.


Reprenant les codes du film de chasse, qui consiste à opposer des personnages qui se livrent au jeu du chat et de la souris (clairement « Tom & Jerry »), « Help ! » mise sur l’efficacité plus que sur le propos. Faisant preuve d’une constante dérision, les Beatles jouent de leur image et de leur succès, sans crainte du ridicule, ce qui favorise ce naturel si convaincant, au beau milieu d’un grand n’importe quoi des plus total. Avec un charme fou et coloré à l’extrême, il s’avère certain que la mécanique de ce divertissement fonctionne toujours parfaitement, et peut encore de nos jours satisfaire un public en quête de sensations burlesques sans sens.


Et puis rien que voir les Beatles jouer une partie de curling, explosive comme toutes les parties de curling, il vous faut voir [ou revoir] ce film.


-Stork_

Peeping_Stork
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le 30 janv. 2022

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Peeping Stork

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Erw
8

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