Avant toutes choses, je dois confesser le mauvais goût patent qui est le mien et qui me voit généralement préférer le western au chambara, le chambara au bis, l'odeur du thé vert de Yasujirô Ozu à tous ces trucs bizarres qui s'emploient à nous faire croire, avec peu de sérieux, que le corps humain recèle plusieurs hectolitres de sang expulsables au moindre coup de katana...

Cela étant dit, je dois reconnaître que le premier opus de la série Baby Cart s'avère moins pénible que je ne l'aurais cru, me rassurant quelque peu sur la qualité supposée des prochains épisodes. On retrouve donc Kenji Misumi aux commandes de cette adaptation d'un célèbre manga alors qu'il vient tout juste d'apposer le point final à La Légende de Zatoichi. On remarquera que ce passage de relais entre les deux séries symbolise à merveille l'évolution du chambara qui suit, en ce début des années soixante-dix, le destin qui fut celui du western, lorsqu'il passa d'une forme dite crépusculaire à la version spaghetti. Les similitudes avec cette dernière sont nombreuses et insufflent un renouveau ludique à un genre qui s'essouffle considérablement.

On peut ainsi apprécier ce pur produit des seventies qui instaure un anti héro, forcément immoral et transgressif, comme principal protagoniste et qui assume pleinement ses déviances bisseuses (situations grotesques, violence exagérée...). Conscient du matériel qu'il a entre les mains, préparant peut-être une possible déclinaison en série, Misumi est mué par le désir d'apporter une certaine légitimité à son film et canalise ses effets. Il fait adroitement le lien avec le chambara classique en se réappropriant certains éléments visuels (le final de Sanjuro par exemple) tout en privilégiant l'aspect humain de son personnage principal : l'essentiel du récit est destiné à l'édification de Ogami Itto, le loup solitaire, laissant de ce fait en arrière-plan la violence et le grotesque...

Si les bonnes intentions sont là, Misumi peine toutefois à introduire son sujet et sa première partie se révèle poussive et inutilement nébuleuse (avec notamment des flash-backs maladroits), rendant le film difficile à suivre surtout pour quelqu'un qui, comme moi, ne connaît pas le manga original. C'est d'autant plus dommageable que le personnage d'Itto a tout pour être passionnant, par son côté rebelle et idéaliste (il se met hors la loi pour défendre sa propre conception du bushido) et par sa représentation iconoclaste des plus sympathiques (rônin errant avec son mioche dans un landau).

Tout cela donne un côté inachevé, ou mal maîtrisé, au film ; on consolera néanmoins par une mise en scène qui sait se montrer brillante et inventive, attestant une fois de plus des talents du monsieur derrière la caméra. On appréciera ainsi quelques soubresauts surréalistes qui rappellent étonnamment Suzuki (la division de l'écran entre le feu et l'eau), des combats millimétrés aux excès assumés, un sens du cadrage qui exalte joliment le décor naturel, une vivacité du montage qui nous fait passer rapidement sur les moments douteux, et des ruptures sonores qui contribuent à l'intensité de certaines scènes. Parfois notre homme en fait trop ou se loupe un peu, comme avec ces zooms et ces mouvements de caméra qui gênent la lisibilité de certaines séquences.

Personnellement, si j'ai toujours un peu de mal à maintenir mon intérêt pour ces combats ouvertement excessifs, j'ai tout de même apprécié leur efficacité et leur concision. Le sabre de la vengeance n'est en rien comparable aux grandes œuvres du chambara, mais reste un divertissement honnête qui assume ses excès et son côté ludique, se payant même le luxe de ne pas négliger l'humain : la relation entre Itto et son fils apporte une petite touche de candeur au métrage des plus appréciables.

(6.5/10)

Procol-Harum
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films japonais, Les meilleurs films des années 1970, Kenji Misumi et Baby Cart

Créée

le 19 nov. 2022

Critique lue 41 fois

5 j'aime

Procol Harum

Écrit par

Critique lue 41 fois

5

D'autres avis sur Baby Cart 1 : Le Sabre de la vengeance

Baby Cart 1 : Le Sabre de la vengeance
Torpenn
5

Les voies du saigneur

Pour commencer, je précise que les aventures de ce ronin qui se balade avec son fils en landau en acceptant de temps en temps un petit contrat de tueur à gages et en poursuivant méthodiquement une...

le 20 juil. 2012

31 j'aime

10

Baby Cart 1 : Le Sabre de la vengeance
Taurusel
9

Le Loup et l'Enfant

La saga Baby Cart fut une de mes premières découvertes du genre ken geki, les films de sabre. Un revisionnage s'imposait pour moi considérant les nombreux films de samurai que j'ai pu voir jusqu'à...

le 13 déc. 2012

19 j'aime

1

Du même critique

Napoléon
Procol-Harum
3

De la farce de l’Empereur à la bérézina du cinéaste

Napoléon sort, et les historiens pleurent sur leur sort : “il n'a jamais assisté à la décapitation de Marie-Antoinette, il n'a jamais tiré sur les pyramides d’Egypte, etc." Des erreurs regrettables,...

le 28 nov. 2023

84 j'aime

5

The Northman
Procol-Harum
4

Le grand Thor du cinéaste surdoué.

C’est d’être suffisamment présomptueux, évidemment, de croire que son formalisme suffit à conjuguer si facilement discours grand public et exigence artistique, cinéma d’auteur contemporain et grande...

le 13 mai 2022

78 j'aime

20

Men
Procol-Harum
4

It's Raining Men

Bien décidé à faire tomber le mâle de son piédestal, Men multiplie les chutes à hautes teneurs symboliques : chute d’un homme que l’on apprendra violent du haut de son balcon, chute des akènes d’un...

le 9 juin 2022

75 j'aime

12