Ce n’est pas le premier jouet à venir se rechercher une nouvelle fraicheur au cinéma…
Déjà avant ce Barbie, Transformers, La Grande aventure Lego, et quelques licences de jeu vidéo (dont récemment Super Mario Bros) s’y sont risqués, et c’est peu dire si aujourd’hui l’exercice ne surprend presque plus.
Moi-même je dois bien le reconnaître : j’étais curieux de ce projet-là. Parce qu’après tout, ce n’était pas comme si – au-delà de l’opération commerciale évidente – ce genre de démarche n’avait pas su nous donner par le passé quelques petits bijoux. (Je pense pour ma part notamment à La Grande aventure Lego.)
Alors un film Barbie, pourquoi pas…
…Et franchement, sur un malentendu, ça aurait pu le faire.


Ça aurait pu le faire parce que, habilement, ce film de Greta Gerwig sait s’inspirer des meilleurs dans le domaine.
J’évoquais il y a seulement quelques lignes La Grande aventure Lego et – manifestement – il a servi de maître étalon pour ce film.
Entre d’un côté les références aux classiques du cinéma mobilisés d’entrée pour s’acheter une épaisseur et ensuite une vaste scène d’exposition caricaturale du lever au matin qui joue volontiers du second degré mais qui n’en reste pas moins un habile tour d’horizon de la variété et de la richesse de la gamme Barbie, on est dans une reprise quasiment trait pour trait du film réalisé pour la marque danoise…
…Et si ce n’est pas très original, au moins ça a le mérite de poser un esprit bon enfant. Le film sait que son sujet peut être objet de moqueries, alors il en joue. Il montre que personne n’est dupe et qu’il compte s’amuser de ses douces absurdités. Difficile d'ailleurs de ne pas être sensible à cette étonnante matérialité de ces décors tout en plastique qui, en ces temps d'affadissement numérique des textures, n'en renforce que davantage le caractère joyeusement ludique de ce long métrage.
Donc encore une fois : « pourquoi pas ». C’est le moins pire des débuts qu’on pouvait espérer.


A dire vrai, le film tient à peu près la route pendant une bonne demi-heure. Bon an mal an, entre les absurdités de son propre monde et sa confrontation au monde réel, Barbie parvient – sans être remarquable et malgré quelques lourdeurs inévitables – à jouer la carte d’une auto-parodie qui fait plutôt le job
…Mais plus le temps avance et plus le problème central de ce film finit par s’imposer comme un véritable éléphant rose au milieu d’un magasin de porcelaine. Et ce problème c’est cette embarrassante image que véhicule la bimbo de plastique ; image que Gerwig avait manifestement pour mission de remodeler dans cette vaste opération de communication…
…Le souci c’est qu’on parle là d’une opération périlleuse à plus d’un titre. D’abord parce que Barbie ce n’est pas Lego, et que c’est peu dire si la faire rentrer dans les codes du moment relève de la mission plus que délicate. Et puis ensuite il y a Greta Gerwig qui n’a pas la réputation d’être l’autrice la plus subtile de sa génération…
…Et forcément, ce qui devait arriver arriva.


A ce petit jeu-là, seule l’introduction fait clairement illusion. Mais une fois s’est-on amusé, le temps d’un clin d’œil cinéphilique amusant, à rappeler que, jadis, Barbie, pouvait être perçue comme une figure d’émancipation, les choses se compliquent.
Parce que, l’air de rien, le film prend le risque d’aller traiter de front la question du patriarcat – avec pour sujet Barbie, rappelons-le, ce qui équivaut presque à vouloir s’attaquer à la fraude fiscale avec Jérôme Cahuzac – mais il le fait clairement sans savoir comment le faire, ni sur quel ton.
D’un côté on veut assumer la blague potache jusqu’au bout afin de garder un esprit léger, mais de l’autre, Gerwig se retrouve irrémédiablement à traiter son sujet de manière balourde et franchement niaiseuse.
Et plus le film avance et pire c’est. On atteint un niveau franchement malaisant quand, alors qu’est critiquée à gros trait l’attitude dominante masculine, le film s’essaye à développer une riposte d’émancipation, mais toujours dans le cadre de cette approche potache pour laquelle Gerwig a décidé d’opter. Et c’est comme ça qu’on se retrouve avec pour seul outil d’émancipation un jeu de manipulation totalement inscrit au sein des rapports toxiques induits par le patriarcat, ce que le film ne semble même pas conscientiser.
Or c’est tout ce paradoxe que de voir une œuvre ne cesser de théoriser et de discourir sur un sujet dont il ne semble évidemment pas saisir les tenants et les aboutissants, produisant en permanence des injonctions paradoxales à l’écran.


Parce que bon, on assistera tout de même à une lutte d’influence entre les Ken et les Barbie pour le changement de la constitution en faveur des Ken exclusivement alors qu’elle n’est conçue initialement que pour les Barbie exclusivement. A-t-on pensé un seul instant dans ce film que l’égalisation entre les sexes pouvait passer par une égalisation au sein des instances de pouvoir ? Eh bien manifestement non. A la fin, les Barbie ont sauvé leur constitution exclusive aux Barbie. Barbie Land restera Barbie Land et les Ken continueront d’y jouer un rôle subalterne. Est-on censé se réjouir de ça ? Au bout du compte, rien n’a changé, et on est censé se dire que c’est mieux ainsi ? …Mais où veut en venir ce film au juste ?


Ainsi ce Barbie s’enlise-t-il dans un final très discursif qui, au mieux produit un propos plus que vaporeux, ou au pire sombre dans un niveau vraiment saisissant de bêtise.
En même temps cette terrible maladresse peut se comprendre, parce que l’enjeu c’est d’un côté de parler de patriarcat et de l’autre c’est de ne pas oublier qu’on est avant tout là pour vendre des Barbie comme une icône de féminisme. Et forcément, c’est un jeu du grand écart face auquel même le grand Jean-Claude Van Damme finirait sous les roues d'un camion Volvo.
En même temps, comment pouvait-il en être autrement ? Comment concilier d'un côté invitation à prendre ses distances à l'égard d'une culture de l'injonction permanente via la culture de consommation et de soumission aux codes à la mode, et de l'autre entretenir la consommation de poupées qui sont le symbole même de cette culture de l'injonction et de la consommation ?


Proposition du film : en vendant des Barbie « ordinaires ». Oui... Voilà... Tout est dit.


Au final, ce qui sauverait presque ce film du naufrage, c’est que dans sa totale confusion, ce film passe son temps à essayer de multiplier les diversions, second degré, mise en abyme, auto-parodie, il en produirait presque une sidération bienvenue. Et si la plupart du temps cela aboutit à des combinaisons maladroites voire carrément douteuses…


Je pense notamment à la façon dont on traite Mattel, dans ce film. Personne n'est dupe sur qui est à l'origine de ce métrage ni pourquoi, alors on décide d'évacuer l'embarras en montrant ce qu'on voudrait cacher et en donnant l'illusion que les auteurs disposent d'une liberté totale à l'égard du grand maître, notamment en tirant à boulet rouge dessus. Mais au final les boulets sont en mousse. Les méchants sont finalement des méchants de cartoon, donc des gentils méchants. Au final, plus qu'une preuve de la liberté des auteurs, ce traitement de la firme dans ce film ne fait que révéler toutes les limites posées par les injonctions contradictoires qui l'animent.


…Mais paradoxalement, c’est aussi par cette confusion que ce Barbie parvient aussi à faire le mieux passer sa pilule. Car de ce gigantesque bordel, Gerwig en tire aussi une loufoquerie instable dont il ressort parfois des moments qui peuvent prêter à sourire, voire à jouir.


Pour ma part, je n’ai par exemple pas boudé mon plaisir face à la chanson de Ken et à la prestation de Ryan Gosling de manière générale... ;-)


Alors oui, c’est vrai que l’un dans l’autre, ce Barbie dispose d’un capital sympathie qu’il tire de cette loufoquerie guignolesque et – pour peu qu’on y aille dans un esprit totalement régressif – il y a moyen de s’en amuser et de rigoler de temps en temps.
Seulement, pour qui est un minimum sensible à ce qui se dit dans une œuvre, on ne pourra pas nier que ce Barbie reste aussi un film très ambigu, malaisant, vraiment bête et mal maitrisé. Un film qui, indiscutablement, peine à trouver sa place dans la société d’aujourd’hui ce qui – et c’est tout le paradoxe – est peut-être l’aspect du film qui traduit finalement au mieux ce qu’est Barbie – la poupée comme le symbole – une icône d’émancipation et de consumérisme d’hier devenue icône brouillonne d’auto-aliénation dans le monde d’aujourd’hui…

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le 20 juil. 2023

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