Il n’est pas aisé de reprendre le flambeau de la saga Batman et les fondations du mythe du justicier masqué même si la dernière apparition cinématographique de Batman datait du catastrophique Batman et Robin de Joël Schumacher. Le réalisateur du revigorant Memento se donne les moyens d’enflammer la légende et crée avec cette nouvelle adaptation, une œuvre sombre qui redore le blason de Bruce Wayne, avec l’aide du charismatique Christian Bale.
Même si Christopher Nolan dessine les contours d’un film de super héros, il a compris qu’il fallait s’engouffrer dans la psyché de son protagoniste pour mieux dessiner les traits du super héros : il était donc inéducable de bâtir l’introspection de Bruce Wayne. Batman Begins est un récit initiatique à l’atmosphère pesante, froid dans son réalisme esthétique, peut-être trop rigide dans son iconisation, qui déflore Bruce Wayne dans ses entrailles et son envie de mettre la cape pour aider ses concitoyens.
Dans cette optique, notamment dans la première partie de son film, Christopher Nolan utilise un montage alterné entre les différentes étapes du passé de Bruce Wayne avant que celui-ci ne revienne réellement à Gotham : entre les souvenirs de sa jeunesse et la mort de ses parents, son entrainement avec la Ligue des ombres, le procès du meurtrier de ses parents. Et par cette avalanche d’informations qui construisent et hiérarchisent la pensée de Bruce Wayne dans une parfaite maitrise cinématographique de l’espace-temps, entre réflexion intime et apprentissage ninja, Batman Begins avance ses pions pour recentrer son débat sur le fil rouge même de l’œuvre : le visage de Batman.
Quelle voie doit-il suivre ? Etre un justicier masqué ou un vengeur masqué ? Laisser place à la colère ou être digne d’une mission ? Faire souffler le chaos ou aider l’humanité à renaitre de ses cendres ? The Dark Knight et The Dark Knight Rises évoqueront cette notion avec la même puissance mais le thème central de la justice et sa vocation à coordonner les libertés de la société est le maitre mot d’une trilogie qui redéfinira l’aura même du super héros quant à ses motifs actuels (terrorisme, post 11 septembre) : incruster l’homme masqué dans son environnement sociétal et redéfinir sa place arbitraire.
Batman Begins, outre le fait de se pencher sur les affres psychologiques de Bruce Wayne est aussi et surtout l’hégémonie de Batman : c’est-à-dire la matérialisation de son costume, la puissance de son arsenal et de toute sa panoplie de gadgets, sa capacité à combattre puis sa volonté d’éradiquer un ennemi à la fois individuel et collectif : la peur insufflée par le quotidien ou par la corruption.
Peur de ne pas être digne de son père, celle des chauves-souris, celle de voir la société tomber en ruine dans l’émiettement de son Etat de droit où la pègre domine par le pouvoir toutes les strates policières et judiciaires de la cité de Gotham. Batman Begins est un film d’une richesse éclatante qui a le mérite d’offrir une importance toute particulière à chaque personnage.
Personnages, qui comme souvent chez les Nolan, sont vecteurs à identification et à valeurs narratives : comme Alfred qui est le garant de la noblesse du nom des Wayne et le défenseur des valeurs prônées par la famille. Que cela soit Gordon, Rachel, Alfred : Christopher Nolan les caractérise intrinsèquement et ont tous un rôle à jouer dans l’avènement du Batman. Mais quand on voit l’intelligence de l’écriture d’un Memento, il était évident que Batman Begins allait réussir à faire cohabiter toutes ses données.
Mais Batman Begins n’est pas qu’un simple film à thèmes : avec la qualité de ses interprètes, la densité pessimiste de ses dialogues, la beauté grisâtre de sa photographie, son mélange des genres visuels (thriller comme horrifique), Christopher Nolan dévoile un divertissement plaisant qui mêle aussi bien la tension des scènes d’actions et le suspense de la menace qui pèse sur Gotham.