Le modeste Mirai, ma petite sœur, avait laissé le spectateur un peu sur sa faim quant au cinéma d’animation de Mamoru Hosoda : ce dernier semble en avoir pris conscience, au point que le prologue de son nouvel opus laisse craindre un remake sans surprise de Summer Wars, par l’exposition d’un gigantesque monde virtuel dans lequel tout le monde vit sous une identité fantasmée.


La suite de l’intrigue déplace certes les enjeux, mais convoque le talent pour lequel le réalisateur a été reconnu : une ampleur dans l’image, un habile mélange entre l’animation traditionnelle et l’image de synthèse, et un imaginaire foisonnant dans la cartographie du réseau. L’héroïne et son histoire permettent de retrouver des thématiques chères à Hosoda sur la filiation, le deuil, la famille et la place qu’on doit occuper à la période de transition qu’est l’adolescence.


L’arc général, qui emprunte directement à La Belle et la Bête, restera pourtant assez convenu, et il est un peu regrettable de voir que tous les morceaux de bravoure se fassent au service de paroxysmes kitsch la plupart au premier degré. Le jeu sur les identités secrètes (l’héroïne, star ultime en ligne, mais invisible dans son lycée, le mystère entourant la Bête, cruelle mais blessée) n’est pas des plus passionnants, alors que la thématique sur la police du monde virtuel, qui, croyant bien faire, finit par dériver vers une sorte de fascisme, aurait pu bénéficier d’un traitement plus approfondi. Le grandiose de l’image, indéniable et fédérateur (les chants sur la baleine et les foules de milliards de membres jouant sur la profondeur et l’immensité sans bornes du monde numérique), se voit donc un peu gâté par une tonalité qui lorgne trop du côté de la mièvrerie Disney.


C’est d’autant plus dommage que de nombreuses séquences attestent de la sensibilité intacte d’Hosoda : les scènes de retour à la maison, la composition de la chanson le long de la rivière plongent dans une sérénité salutaire, et en connexion avec les sentiments complexes de la jeune protagoniste. De la même manière, son groupe de la chorale met au jour la maladresse tendre des adultes, bien en peine de définir ce que serait le bonheur, mais prêts à l’encourager s’il se manifeste. La comédie est elle aussi brassée avec un véritable talent, notamment dans les intrigues amoureuses, et la gaucherie d’un prétendant, notamment lors d’une scène de déclaration dans une gare qui joue avec une grande finesse du hors-champ et du comique de situation.
Hosoda l’avait prouvé dans Les Enfants Loups ou Le Garçon et la bête : c’est lorsqu’il est le plus proche de ses personnages, de leurs failles et leur ouverture au sentiment, qu’il touche au plus juste. Belle ne manque pas de cette approche, même s’il la sacrifie peut-être un peu trop aux exigences du (très) grand spectacle. Mais, sur ce registre, il parvient aussi, épisodiquement, à mêler les deux. La séquence de jeu de plateau pour expliquer les rumeurs en cours au lycée est ainsi une réussite totale, qui allie la tendresse du regard sur le monde des ados à la virtuosité de l’image et des métaphores. Souhaitons qu’il poursuive dans cette direction plutôt que vers les terres plus familières du divertissement familial à échelle globale.


(6.5/10)

Sergent_Pepper
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le 30 déc. 2021

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