Il portait des culottes et des bottes de moto…

Belle Épine est un film avec Léa Seydoux. Il y a des films, je crois, qui se définissent par leurs acteurs. Des films avec Léa Seydoux, il a l'humilité, la tendresse, la douceur, et la succession d'images parfois déroutante. La narration en elle-même est assez floue, on a l'impression de croiser plusieurs familles, de suivre des personnages ramassés au hasard dans la vie de l'héroïne, et le temps n'offre pas d'informations plus claires. On passe d'un repas chez les Cohen à une entrevue d'un mec sur un circuit, à un lieu où les personnages connaissent aussi peu de choses de l'héroïne que nous. Le film est trop rapide, mais les moments qu'on passent avec lui sont calmes. Prudence Friedman a dix-sept ans, l'âge à la frontière entre la jeunesse et la majorité, entre le lycée et l'avenir, l'âge des frontières où l'on se cherche. C'est ce dont rend compte le film, mais avec une distance, celle de l'époque des années 70, qui le rend moins proche de nous. Si, par sa musique, par son nombre de personnages restreint, par la voix douce et les dialogues humbles des actrices, le film offre un beau voyage, les images qui s'y succèdent n'offrent qu'un aperçu de cette vie à l'ombre des jeunes filles en fleurs. Tout sent effectivement le film classique de fin d'étude, bon élève de la Femis, promise à un certain avenir en se faisant la main sur des actrices montantes et sur des techniques maîtrisées — hormis, à mon sens, la lumière, souvent plus sombre qu'intimiste. Les décors sont ravissants, on ne peut rien reprocher aux acteurs. En même temps je ne suis pas persuadé d'être objectif à chaque fois que je croise ne serait-ce qu'un morceau de Léa Seydoux, en particulier dans un film qui a la fâcheuse tendance à la mettre à poil, c'est à dire dans tous ses films.

Le lien de Prudence avec la vie des jeunes filles, les frasques qu'il faut faire pour apprendre à vivre quand il paraît qu'on a dix-sept ans, c'est la moto. La moto, les nuits blanches, le libertinage, le sexe et les amours. Mais finalement, toutes ces scènes sont traitées sur le même rythme, et tous les instants du film respirent le même silence. S'il est infiniment tendre, et en cela, très triste, dans ses images, la force que pourrait avoir l'histoire est atténuée et perd même son sens. Mais accorde-t-on encore aujourd'hui de l'importance à la simple " histoire " ? Est-ce, sous couvert d'images, de volonté du réalisateur, de révolution, on doit encore sacrifier une narration claire et prenante au profit d'une forme et d'une technique ? Mais Belle Épine a quand même raison de n'avoir rien à voir avec ma haine godardienne et mon désir de garder jusqu'au bout une âme de spectateur. Il vaut comme un premier film, comme une petite révélation. Pour ses deux premiers films et peut-être ceux à venir, Rebecca Zlotowski, on aime ou on aime pas. J'ai bien aimé. J'ai bien aimé la tendresse. Le silence. La beauté. La solitude.
Ashen
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste [Mode Régression On]

Créée

le 6 janv. 2014

Critique lue 374 fois

Ashen

Écrit par

Critique lue 374 fois

D'autres avis sur Belle épine

Belle épine
Prolle
2

Critique de Belle épine par Prolle

Définir en deux mots caricature de film français de fin d'étude : Belle Épine, chronique adolescente prétentieuse et sans originalité. Agacé, du début à la fin vous le serez. Agacé par les postures...

le 7 nov. 2010

17 j'aime

1

Belle épine
eloch
2

Critique de Belle épine par eloch

Que dire de ce film ? Le titre est un bon résumé, on s'enfonce une belle épine dans le pied en débarquant devant ce film dont on ne sait pas bien comment se débarrasser et on s'oblige pourtant à le...

le 2 nov. 2011

10 j'aime

Belle épine
ThomasParis
7

Critique de Belle épine par ThomasParis

Bonne élève de la Fémis, elle s'accompagne ici d'un premier film qui sert une histoire intéressante mais un peu lassante. On sent un immense désir chez cette réalisatrice, scénariste de formation, de...

le 11 janv. 2011

8 j'aime

1

Du même critique

Huis clos
Ashen
9

L'enfer, c'est nous.

" Oui, c'est Jean-Paul Sartre qui l'a dit, c'est trop vrai, l'enfer, c'est les autres, parce qu'ils sont méchants qu'ils font du mal et qu'ils devraient pas exister, Sartre c'est trop un rebelle t'as...

le 1 août 2012

53 j'aime

Journal d’une femme de chambre
Ashen
3

Journal de Léa

L'avant-première du Journal d'une femme de chambre a eu lieu au Mk2 Bibliothèque le 23 mars 2015. Benoît Jacquot et Léa Seydoux sont apparus sur scène trois minutes, puis ont disparu. Benoît Jacquot...

le 26 mars 2015

18 j'aime

2

Serena
Ashen
7

Sérénité

Serena, c'est beau. Il y a des paysages des forêts brumeuses dans les montagnes en Caroline du nord. C'est parfois très léché, l'architecture des villages et des maisons carrées aide beaucoup. Ça...

le 15 nov. 2014

18 j'aime

1