"La plus grande arnaque de l'histoire de l'art", promet l'affiche du dernier Tim Burton, cinéaste un temps cathartique (sa grande période), dont l'âme s'est ensuite un peu laissée avaler par le marketing. Une ligne d'accroche à double tranchant car si Big Eyes est bel et bien, tous comptes soldés, un biopic, impossible que cette histoire ait attiré le sieur Burton par hasard, qu'il n'y ait pas là une mise en abîme, plus ou moins consciente.
Reste à déterminer de quel côté de l'histoire naît la catharsis du réalisateur, auquel des deux héros il s'identifie... Vendeur génial incapable de créer ou artiste dépossédé de son travail ? Même "les deux mon capitaine" apparaîtrait comme une réponse acceptable... Or nul part dans le récit Tim Burton ne semble se décider, nul part il n'est capable d'aller au bout de la confession, quel que soit le crime, et c'est ce qui nuit le plus à son "Big Eyes", ce script dépossédé d'âme, de prise de position, de prise de risque.
Entre une construction narrative tout ce qu'il y a de plus linéaire et une forme très académique, le film retranscrit l'histoire des Keane non sans efficacité, mais noie son propos dans le vide des grands yeux de ces toiles désincarnées. La prudence de Burton est telle qu''entre une Margaret rongée d'abandonner ses peintures (et justement, la catharsis qui pourrait en découler) et un Walter Keane dévoré par l'envie d'être ce qu'il n'est pas, soit deux personnages, sur le papier, capables de générer fascination et empathie, il préfère confier la narration à un troisième protagoniste (l'éditorialiste d'un journal minable), anecdotique au possible, au regard en dehors de l'histoire et à la motivation personnelle inexistante.
Un constat d'échec qui symbolise bien le produit fini dans son ensemble car si Big Eyes n'est pas un mauvais film tel quel, il n'en est pas moins un film raté, ou plutôt, un film qui rate les opportunités qui lui sont données. Le récit passe à côté de ses personnages, du duo central aux secondaires qui auraient pu mettre du relief (Krysten Ritter, cruellement sous-employée) et donc des enjeux (l'issue est apparente bien trop tôt sur la pellicule, il suffirait à Maggie de prononcer le nom "Cénic" pour mettre fin au film 20 minutes plus tôt). La faute à un traitement de plus en plus caricatural au fur et à mesure qu'avance l'histoire : les personnages, (Walter comme Margaret) perdent leurs dimensions, se réduisent pour l'un à une mégalomanie frôlant la démence, pour l'autre à une frustration passive, et les jeux de Waltz comme d'Adams s'en ressentent comme les acteurs font de leur mieux pour nourrir un matériel qui s'éffiloche.
Que reste-t-il à sauver au final ? A défaut de nous raconter des personnages,Big Eyes propose un début de propos sur le monde de l'art, sur son aspect "marché financier comme un autre", et sur la façon dont cet aspect financier dépossède l'artiste. Avec Walter, vendeur de génie, qui transforme une toile en poster, génère une copie d'une copie d'une copie qui ne vaut presque rien mais se vend à plusieurs millions d'exemplaires, c'est la dilution du geste artistique dans le dollar, le vide originel du créateur que dénonce ici Burton.
Sauf qu'au sein d'un film qui lui-même manque de chair, s'avère une copie d'une copie d'un récit auquel il n'ajoute aucune touche personnelle, la tentative fait coup d'épée dans l'eau. Vous pouvez avoir les plus beaux yeux du monde, personne ne les regardera bien longtemps si aucune lumière ne les habite.