L'histoire d'un acteur qui bat de l'aile

[Attention, spoilers]

Birdman, c'est l'histoire d'un acteur qui fut un temps célèbre pour avoir joué le personnage éponyme sauf qu'un jour il a décidé d'arrêter et depuis il n'a plus jamais eu de succès. Alors il décide de monter sa pièce de théâtre, qu'il écrit et met en scène en plus de jouer dedans, afin de retrouver sa célébrité à Broadway. Sauf qu'évidemment tout ne se passe pas comme prévu car il est grave marqué par Birdman au point d'avoir une grosse voix dans sa tête qui lui répète qu'il est bien naze et casse tout grâce à des pouvoirs télékinétiques. Bref, c'est le gros bordel dans sa tête et dans sa vie. Et c'est tellement bien mis en valeur qu'en fait c'est le gros bordel dans le film lui-même.

Birdman, c'est surtout l'histoire d'un unique personnage. Aux côtés de ce Keaton torturé, on retrouve un tas de personnages joués par des acteurs qui vont de très très chouettes (Emma Stone) à carrément lourds (Edward Norton) mais surtout très invisibles (tout le monde sauf Keaton). Le personnage principal est le seul à avoir le droit d'être développé, les autres ne sont là que pour le supporter, ils n'existent que pour interagir avec lui et n'ont donc aucune consistance propre. Il y a la fille ex-droguée qui est là pour rappeler que quand on est un artiste on a pas trop le temps donc on est un mauvais père, la copine et l'ex-femme pour montrer que C'est pareil avec l'amour ou l'acteur jeune et populaire pour créer un peu de rivalité. Malheureusement, cela fait que le seul personnage développé du film se retrouve être un condensé de clichés. C'est un peu ce personnage égocentrique qui ne pense qu'à son plaisir personnel (en l'occurrence devenir célèbre) et blesse tout le monde en passant du coup ça le rend misérable mais c'est pas grave car il va s'en rendre compte (plus ou moins) et tout régler. Néanmoins, la mise en scène confère une certaine aura au personnage de Riggan qui est assez unique et plutôt fascinante.

Fascinant, c'est bien le mot pour décrire la mise en scène. Dès les premières minutes du film, celle-ci envoûte le spectateur. On se retrouve à se déplacer comme une sorte de spectre dans les coulisses du théâtre. Et c'est plutôt très réussi. L'ambiance est parfaite, on se croirait vraiment dans les coulisses. Chouette. Sauf qu'Iñárritu use et réuse de la même technique pendant tout le film sans se renouveler une seule fois. Du coup, au bout d'une demi-heure on est plus si fascinés que ça et on commence à en avoir un peu marre que tout ça tourne en rond. C'est d'ailleurs accompagné par l'histoire qui tourne elle aussi en rond, ou plutôt l'évolution de Riggan puisque les deux sont intimement liées (il n'y a pas d'autre histoire que l'évolution du personnage en fait), réitérant les mêmes thèmes encore et encore. Tout va mal, Riggan ne peut pas tomber plus bas, il doit couper les ponts avec Birdman, ça marche, il commence à avoir du succès et ça va mieux, ah non on recommence. Birdman, c'est les mêmes scènes encore et encore. Alors oui, ces scènes sont plutôt fascinantes la première fois qu'on les voit. Oui, c'est très bien mis en scène. Le problème, c'est qu'après avoir vu quatre ou cinq fois la même chose à la suite, c'est plus agaçant qu'autre chose.

Ces deux défauts - la répétition et le bordel général - se retrouvent parfaitement dans le message qu'Iñárritu tente de transmettre à travers son film. Ou plutôt les messages. Car si le thème général tourne bien autour du comédien à travers le personnage de Riggan, le réalisateur tente de toucher à tout un tas de thèmes à travers les quelques personnages secondaires ou divers événements, et c'est plutôt maladroit. On a ainsi une tentative de traiter de la parenté et particulièrement de l'absence d'un parent sauf qu'en fait on s'en fout car les quelques scènes traitant le sujet sont assez vaines, des problèmes sont levés pour ne jamais être traités dans la suite du film (l'histoire du joint, Riggan qui s'énerve quand il voit sa fille avec le méchant-acteur-bg mais oublie tout 30 secondes plus tard). D'autres sont simplement évoqués sans vraiment être développés, on a par exemple du mal à voir à quoi sert le personnage d'Edward Norton. Est-ce une critique des acteurs qui peuvent se comporter comme des connards ? Ou des gens qui ne sont pas assez "vrais" comme répété à chaque apparence du personnage ? Ou alors c'est peut-être ces célébrités qui inventent des choses pour être populaires et faire la une du journal ? On ne sait pas vraiment car pour chaque nouveau thème traité, deux surviennent à la scène suivante.

Mais surtout, on a du mal à ne pas voir le message principal du film comme de la masturbation d'Iñárritu sur son propre travail. A travers le personnage (ridicule) de la critique, on retrouve une critique de tous ces blockbusters sans âme alors que lui, il fait de l'art, du vrai ! Regardez, lui il met tout son cœur dans son travail, il y a plein d'émotions partout, ça se ressent bien ! Il fait des vrais films intelligents et tout, pas du stupide divertissement ou des films avec des super-héros ! Il est bien au-dessus de tout ça lui, il s'en fiche d'être une célébrité il veut être un artiste ! Car lui il joue sa vie à chaque film vous voyez, il s'investit à fond dedans. Comme on peut le voir à la fin, c'est quand le personnage décide de se tirer une balle dans la tête avec une vraie arme qu'il arrive à atteindre le vrai statut d'art, à convaincre le public et surtout la critique la plus méchante de New York. Oh, au fait, on vous a dit que les critiques étaient des méchants qui parfois notent selon leur humeur et même sans avoir vu l'oeuvre en question ? Bref, le réel message du film est assez confus et surtout perdu dans la vague de thèmes abordés mais non développés. C'est d'autant plus paradoxal quand le film semble faire l'apologie d'un "art vrai" tout en étant parfaitement taillé pour les Oscars, qu'il a sans surprise eu.

Birdman est donc un film assez envoûtant au départ. Il faut bien avouer que Keaton correspond parfaitement au rôle (même si je n'apprécie pas particulièrement son jeu). La mise en scène est fascinante, c'est assez joli, Emma Stone est parfaite je l'aime je veux l'épouser ses yeux sont graves chouettes, le rythme du film n'est quasi jamais cassé. Malheureusement, ça traîne beaucoup en longueur et Iñárritu s'éparpille un peu dans tous les sens, éparpille ses personnages tous plus inexistants les uns que les autres (il y a littéralement des personnages qui disparaissent d'un coup car ils ont complété leur rôle dans l'évolution du personnage principal et n'ont aucun intérêt en eux-mêmes) et surtout se perd dans le message qu'il tente de faire passer. C'est assez dommage parce qu'au début ça partait plutôt bien, qu'il y a des scènes plutôt très sympathiques (le robot oiseau géant et le costume de Birdman sont super cools, j'ai bien aimé les scènes sur le toit où les personnages essayaient un peu d'exister sans Riggan) et surtout qu'Emma Stone était toujours plus chouette et il aurait dû la laisser parler pendant deux heures, ça aurait été beaucoup plus intéressant.

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le 28 févr. 2015

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