L'ascension d'un héros qui battait de l'aile

« Birdman », le film qui a fait couler le plus d’encre ces dernières semaines, est sorti dans nos salles la semaine dernière. Oscarisé du meilleur film et meilleur réalisateur, on pourrait déclarer qu’Hollywood manque d’objectivité lorsqu’il s’agit de juger un film qui parle d’Hollywood. C’est ce qui faisait d’ailleurs du film le principal prétendant aux Oscars (et donc le principal gagnant). Mais « Birdman » affiche bien d’autres ambitions que celle de proposer une réflexion sur l’industrie du cinéma et du théâtre. Et on le ressent dès les premières secondes.


Alejandro González Iñárritu n'est pas un réalisateur qui se plie aux exigences d’Hollywood. On se rend vite compte que ses intentions avec « Birdman » ont un aspect expérimental, car le film est un long plan-séquence, la caméra se déplaçant autour des personnages sans coupure. Même si on s’y habitue au bout d’un moment, cet effort de mise en scène est admirable, et permet de mieux rentrer dans la peau des personnages. Personnages qui sont d’ailleurs le principal moteur du film. Riggan Thomson est hanté par le fait de tomber dans l’oubli. Après son rôle dans une trilogie de films à succès « Birdman » dans les années 90, l’homme n’a fait aucun rôle marquant, prisonnier de son image de super-héros ringard. Avec la pièce de théâtre qu’il écrit, dirige et interprète, il compte pouvoir accéder une nouvelle fois au succès et, quelque part, à l’immortalité. Choisir Michael Keaton pour jouer ce rôle est donc d’autant plus pertinent que l’acteur n’a pas rayonné à Hollywood depuis les deux Batman de Tim Burton dans les années 90. Une mise en abyme pertinente et efficace. Cette mise en abyme va d’ailleurs encore plus loin lorsque Riggan se moque ouvertement de Robert Downey Jr., célèbre acteur incarnant Iron Man dans les Avengers. Cocasse.


Le scénario n’a en tout cas rien d’extraordinaire, ce n’est pas dans son récit assez classique que « Birdman » éblouit. Les personnages sont attachants et bien construits, et ne constituent qu’une troupe de théâtre plutôt normale, c’est-à-dire complètement barrée, avec des histoires de coucheries à tous les étages. C’est en fait dans son traitement incroyable que le film tire son épingle du jeu. La mise en scène en plan-séquence évoquée plus haut ainsi que certains passages surréalistes brouillent déjà entièrement les repères du spectateur, un mouvement de caméra peut signifier une ellipse de plusieurs heures tandis qu’on confond souvent les fantasmes de Riggan avec la réalité. La bande-son de plus, est là aussi particulièrement déroutante : constituée principalement d’accords de batteries en solo que ne renierait pas « Whiplash », elle donne un véritable rythme au film, en plus d’accentuer la frénésie des évènements. Car la mise en place d’une pièce de théâtre n’est pas une promenade de santé, et le film nous réserve quelques moments de folies théâtrales.


Finalement, le traitement du film est ce qu’on retient le plus, mais le propos de « Birdman » est loin d’être aussi simple qu’il en a l’air. Au-delà de s’attarder sur l’obstination d’un acteur déchu, il propose une réflexion sur la condition d’artiste et sur l’art en général réellement passionnante. Jusqu’où irait un homme pour accéder au mérite qu’il est en droit d’obtenir ? Le film y répond d’une bien belle manière.


Ma critique de "The Revenant" :
http://www.senscritique.com/film/The_Revenant/critique/46784157

Créée

le 7 mars 2015

Critique lue 613 fois

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Marius Jouanny

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