Birdman était un film qui me tentait depuis des mois et la dernière cérémonie des Oscars n'a fait que renforcer mon attente autour d'un film qui s'annonçait très prometteur. Je ne m'intéresse pourtant pas des masses aux Oscars en règle générale, la faute aux palmarès récents très décevants faisant la part belle aux films académiques. Mais cette année l'académie semblait enfin avoir eu bon goût. Puis le fait de retrouver Inarritu à la réalisation avec notre sosie de Julien Lepers préféré accentuait mes attentes. J'avais adoré Babel et Amours Chiennes du réalisateur à l'époque, films que j'avais trouvé émouvants et très maîtrisés techniquement. Or Birdman semblait s'éloigner assez radicalement du style dramatique arboré par le cinéaste depuis son premier long-métrage. Et si dans les faits le film s'apparente plutôt au drame dans ce qu'il aborde en filigrane, on peut aussi constater qu'il brasse d'autres genres en parallèle avec une dimension humoristique très présente. Finalement, que vaut le nouveau bébé du réalisateur mexicain?



Enfin! Pour une fois depuis No Country for Old Men en 2008, la statuette a enfin été décernée à une oeuvre méritante et pas calibrée de A à Z (bon, à la rigueur, Démineurs ne l’avait pas volé en 2010). Car Birdman est un film aussi généreux qu'audacieux avec une maîtrise incroyable. Le synopsis de départ était d'ailleurs intrigant et alléchant. Une ancienne star de cinéma, connue pour avoir joué le rôle d’un super-héros, tente de sortir de sa galère et de monter un spectacle à Broadway pour donner un nouvel élan à sa carrière.

Le fait que Michael Keaton interprète ce personnage fait forcément écho à sa propre filmographie. L'acteur a incarné le Batman de Burton, ce qui l'a rendu célèbre avant de disparaître presque totalement de la circulation dans les années 2000. Inarritu met alors en scène ce personnage qui a déjà existé, qui existe et qui existera toujours dans le monde impitoyable du cinéma. On peut notamment citer un autre Keaton, Buster, dont la carrière a fortement décliné avec l'arrivé du cinéma parlant. Et les exemples ne manquent pas malheureusement.

Plus que le cinéma d’ailleurs, le cinéaste nous offre une vision acide du monde du spectacle où il faut batailler, s’accrocher et surtout s’adapter pour éviter de plonger. Ce n’est pas le premier film à révéler un envers du décor peu enviable. Rien que l’année dernière, Cronenberg nous offrait sa version d’un Hollywood complètement pourri dans Maps to the Stars. Mais le traitement demeure intelligent car Inarritu distille toutes ces critiques en filigrane dans son histoire. Plus que de critiques, il s’agit plutôt de constats sur tout ce qui gravite autour du monde du spectacle sans qu’il y ait de jugements bien lourds et appuyés dessus.

On a beaucoup parlé de la réalisation d’Inarritu qui a tourné son film exclusivement en plans-séquences rabotés de manière à donner l’illusion qu’il n’y a qu’un seul et unique plan tout le long du métrage. Pour être honnête, je craignais un peu cette méthode, m’attendant à quelque chose de pompeux et mécanique. Et finalement je n’ai pas ressenti ça le moins du monde, bien au contraire. Cette technique sert le propos du film avec classe et surtout avec pertinence. Ce (faux) plan-séquence de 2 heures renforce l’immersion dans ce théâtre et dans les préparatifs laborieux de la pièce qui va être lancée dans quelques jours. On a une unité de temps continue et bien définie qui renforce toutes les sensations que l’on peut éprouver dans ces moments cruciaux. On voit toute la tension, tous les antagonismes, tous les imprévus qui rythment la création du spectacle. Et c’est vraiment captivant car on ne lâche jamais cette troupe de comédiens et de préparateurs qui semble être sur le point d’exploser d’un instant à l’autre.



La mise en scène est vraiment vertigineuse avec une caméra qui navigue sans répit entre les divers protagonistes, rendant les 2 heures de film encore plus intenses. Certains crieront à la surenchère, et ils n’auront pas forcément tort. Mais comme c’est bien filmé et jouissif, j’ai trouvé l’ensemble particulièrement palpitant. Inarritu dispose d'un réel talent et d'une virtuosité assez impressionnante. Le film fait forcément penser à la Corde d'Alfred Hitchcock dans sa construction formelle avec ce vrai faux plan-séquence qui définit précisément l'unité de temps.

Après la comparaison s'arrête là, d'autant plus que l'action de Birdman s'étale sur plusieurs jours. Et c'est vraiment incroyable d'ailleurs d'imaginer toute la maîtrise qu'il fallait derrière, toute la précision dans la mise en scène. Et ce qui est super en plus dans tout ça, c'est que l'action n'est jamais mécanique. Toutes les séquences s'enchaînent naturellement et c'est un excellent point pour l'immersion.

Birdman est un film très cynique dans l'ensemble. Et en plus d’être cynique, le film s’avère être également très drôle. Et c’est justement grâce à cela que l’humour fait mouche. Tout y passe, tout le monde en prend pour son grade. Les acteurs, les critiques pédants, les films de super-héros, Hollywood en général. Birdman c'est la rencontre entre un côté assez bourrin où les critiques fusent de façon bien explicite tout en abordant plus subtilement le "revers de la médaille" de l'univers du spectacle. Et ce en captant des dialogues, des réactions, des situations qui défilent inlassablement durant ces deux heures très denses. Et j'ai trouvé cette alternance entre la critique frontale et ces constats plus posés vraiment jouissive.

On assiste alors à un portrait nuancé et intéressant sur le métier d'acteur. L'opposition entre le cinéma et Broadway est aussi passionnante à analyser. On a d'un côté un monde où le marketing dicte le succès au box-office et de l'autre un univers où la critique fait la loi. Nous avons alors un regard complet sur la difficulté de percer dans un de ces milieux quand on provient de l'autre. Et le film distille toutes ces réflexions dans cet univers chaotique en perpétuelle ébullition, d'où sa densité et sa richesse.



Puis Birdman c'est aussi un film de personnages. Le personnage de Riggan est, comme je l'avais évoqué précédemment, intéressant à voir évoluer puisqu'il incarne cette idée de l'acteur qu'on enferme à jamais dans un seul rôle. De plus, Keaton est explosif dans son rôle, son personnage est vraiment jouissif au fur et à mesure que l'intrigue progresse. A ses côtés on retrouve Edward Norton qui campe à merveille l'acteur prétentieux, à la fois insupportable et tendre. On ressent d'ailleurs toute la tendresse qu'Inarritu peut éprouver pour ses personnages en les rendant attachants et humains, avec toute la complexité que cela entraîne. La relation entre Norton et Emma Stone est vraiment touchante d'ailleurs. Une preuve encore, après le dernier Allen, que cette actrice mérite définitivement mieux que The Amazing Spider-Man!

Véritable pépite aussi bien sur la forme et la fond, Birdman est le grand film de ce début d'année 2015. Aussi drôle que jouissif, le film est une virée inépuisable de 2 heures dans les coulisses du spectacle avec un regard toujours très juste sur ce qu'il aborde. Bercé par une musique inspirée, le film déroule cette vision acerbe de ce monde sur un rythme infernal. La mise en abyme est furieuse et prenante. Génial sur tous les points.
Moorhuhn
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le 11 mars 2015

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Moorhuhn

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