Le film commence.
Mal.
C'est du copier-coller de The Wrestler, avec de longs plans filmés de dos (la spéciale Aronofsky) avec un Mickey Rourke en plus petit et fichtrement plus sexy. Ah et oui, elle danse. Enfin, elle bouge. Parce que la caméra est en très gros plan et bouge tellement que si Natalie Portman faisait un Scrabble, on aurait dit qu'elle danse. Elle est géniale, mais Aronofsky a encore cette manie qui parasitait un film comme The Fountain par exemple, à savoir une mise en scène très généreuse, très chichiteuse, voire carrément tape-à-l'oeil. On aime au début, mais à force on s'en lasse.
Globalement le scénario est quand même pas trop, quoi que très balisé, on se rend très vite compte que le film en lui-même calque la structure du Lac des Cygnes de Tchaikosvky et l'applique non seulement au monde du ballet, mais aussi à celui du cinéma en particulier. En fait, le film est si balisé qu'on a le temps de réfléchir énormément sur le message du film et ce que veut faire comprendre le cinéaste. Ca dit des choses pas mal du tout sur le jeu de l'acteur et du danseur : dénonçant clairement les acteurs classiques (incarnés par Portman dans le film), le film est une exhortation à l'artiste de libérer ses pulsions et de les laisser parler dans leur impulsion créatrice. Le twist final, quoique pas forcément si twistesque que ça est quand même assez intéressant en ce qu'il expose très clairement la vision qu'a Aronofsky de la performance d'acteur parfaite. Dans The Wrestler, Mickey Rourke, ancien boxeur, se fondait complètement dans le personnage de Randy "The Ram" Robinson, entretenant une confusion entre l'acteur et son avatar à l'écran qui alimentait l'émotion du film (notamment dans les scènes où Randy parle avec sa fille). Dans Black Swan, ce jeu d'attraction/répulsion des cygnes s'exerce à des niveaux encore différents. Le cygne blanc, ça c'est certain, c'est Natalie Portman, aussi bien l'actrice que le personnage qu'il incarne. C'est justement ce Black Swan qui est plus intéressant. Celui-là, il apparait tout le temps dans le film (avec un jeu d'opposition sur les couleurs noires et blanches qui n'est pas sans une certaine lourdeur d'ailleurs), au travers de Beth McIntyre (Winona Ryder), de la mère de Nina, de Lily, puis finalement s'avérant être Nina elle-même (Lily redevant d'ailleurs toute vêtue de blanc dans les dernières minutes du film). Tout ce petit monde marque finalement une étape de la progression non seulement de Nina pour devenir une ballerine hors pair, mais aussi indirectement celle de Natalie Portman pour trouver le rôle de sa vie.
Si l'on reste juste au niveau de Nina, les différentes fausses pistes du Black Swan sont juste des étapes de passage obligatoires. Beth lui apprend à profiter de sa jeunesse, sa mère l'amène à briser le carcan d'une éducation trop aliénante, Lily la pousse à révéler en elle la part d'être humain qui doit habiter chaque danseuse, qui n'est pas qu'une machine à réciter des pas de deux et des entrechats. Et finalement, la fin du film, réunissant les deux cygnes en un (ce qui est grosso modo annoncé dès le début du film par Vincent Cassel, à savoir qu'ici, Black et White Swan ne font qu'un), est une forme d'abandon total dans la performance, la fusion de la danseuse avec son art jusqu'à en perdre la raison et à s'y détruire définitivement.
Le même raisonnement vaut pour Natalie Portman quand on y réfléchit bien. La gentille fille bien sage de Star Wars s'est distinguée peu à peu en suivant la même ligne, à savoir des performances extrêmes dans lesquelles elle s'abandonne complètement dans les personnages qu'elle incarne (Closer, entre adultes consentants ou V pour Vendetta par exemple). Black Swan, c'est finalement l'anti-Discours d'un Roi, la volonté de faire fi des codes classiques et de laisser exploser l'humain (avec ses pulsions d'érotisme, de mort...) derrière l'acteur. C'est d'ailleurs étrange que pour deux performances que tout oppose, Colin Firth et Natalie Portman ont remporté leurs Oscars respectifs.

Le film sur ce point est très intelligent et il reste dans l'ensemble beau, assez bien filmé, mais parfois sans surprise. Les métaphores d'Aronofsky sont belles, mais la prose un peu lourdingue par moments, là où The Wrestler brillait par sa légèreté et sa grâce. Après c'est quand même une expérience très bizarre et très intense, qui parfois peut vous scotcher à votre fauteuil ou bien vous dégoûter complètement. Le film développe toute une imagerie du foot fetish et certaines séquences sont parfois assez dégueulasses à regarder, notamment toutes celles où Natalie Portman saigne des ongles de pieds et des mains, qui m'ont limite collé la gerbe. Même si ses pieds sont moches et que son corps est torturé tout au long du film, Natalie Portman reste somptueuse, comme touchée par la grâce, sa victoire aux Oscars est tout sauf imméritée. Mile Kunis s'en sort très bien en ballerine vénéneuse tandis que Vincent Cassel, de son côté, cabotine un peu.
Bref, Black Swan est tout sauf parfait, c'est pas le meilleur d'Aronofsky certainement, mais le film vaut le coup d'être vu, ne serait-ce que pour cette dernière séquence de ballet absolument monumentale, qui est un véritable choc qui a laissé plus d'une personne dans la salle avec les larmes aux yeux. Les vingt dernières minutes, c'est simple, on ne décroche pas un instant, et là on touche à du grand cinéma, ce que n'offre pas forcément toujours l'heure et quart précédente. Ne partez donc pas avant la fin.
Sharpshooter
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le 16 juin 2011

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Julien Lada

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