Ce film est une pure merveille. Incontestablement le Western le plus sous-côté de ces vingt dernières années.


Dire que je suis tombé dessus par le plus grand des hasards ! Je cherchais en magasin un DVD de Butch Cassidy et le Kid (un de nos westerns préférés à ma maman et à moi) et il n'en existait qu'une seule version, en coffret, avec ce film de Sam Shepard dont je n'avais jamais entendu parler. Soit, le prix était avantageux, et puis j'adore Sam Shepard, donc pourquoi pas.


Eh bien maintenant je me demande si je ne le préfère pas au classique avec Redford et Newman. Bon, en fait, la comparaison n'a pas lieu d'être : Butch Cassidy est le personnage principal des deux films, et c'est bien là tout ce qu'ils ont en commun. BCATSK est l’un des westerns les plus funs et les plus glamours jamais realisés ; Blackthorn est l’épitome du western crépusculaire.


Là où le premier a été rendu mythique par le montage de la ballade en vélo de Paul Newman et Katharine Ross au son de "Raindrops keep fallin' on my head", le second s'ouvre sur une reprise de "Ain't no grave" de Johnny Cash alors que le "héros" chevauche seul dans le désert bolivien, avec une liasse d'argent comme seul passagère. Deux poids deux mesures.


Fin de la comparaison. Une critique du chef d'oeuvre de George Roy Hill viendra, mais aujourd'hui c'est de Blackthorn seul dont je veux vous parler - et dieu sait s'il a bien plus besoin de publicité ! Il faut dire que le casting ne risquait hélas pas d'attirer les foules : Shepard a toujours été trop "intello" pour accéder au statut de star hollywoodienne que son talent et son physique auraient pu lui valoir en un clin d'oeil, Eduardo Noriega n'est guère connu en-dehors de son Espagne natale, de même que Dominique McElhigott et Padraic Delaney en Irlande. Stephen Rea, malgré quelques grosses productions, reste criminellement méconnu du grand public. Quant à Nikolaj Coster-Waldau, il n'avait pas encore signé pour Game of Thrones...


Eh bien c'est fort dommage car le casting est tout simplement parfait. Je ne suis pas du genre à distribuer des Oscars à tire-larigot, mais c'est bien simple, pour moi Sam Shepard aurait au moins dû être nominé comme meilleur acteur, et Noriega ou Rea comme meilleur second rôle masculin. à tout seigneur tout honneur, Shepard est absolument sublime, tout en retenue et en dignité blessée. Il véhicule énormément de chaleur et d’humanité sous des dehors rugueux, notamment dans sa relation avec sa compagne bien plus jeune, jouée par l'excellente Magaly Solier. Une telle différence d’âge aurait pu faire grincer des dents, mais leur alchimie et leur douceur les rend très attachants. Ce Butch-là tient à tout prix à oublier, à laisser sa vie de malfrat derrière lui, malgré la nostalgie et les regrets qu'elle lui évoque au-travers des flashbacks. Cette juxtaposition entre cet abord tranquille et les souvenirs de ses aventures avec Sundance et Etta montrent bien que ce vieux senor Blackthorn, c'est de l'eau qui dort. Et en effet, lorsque Butch Cassidy se reveille... ça fait mal. Jusqu'alors vieux lion placide et bienveillant, Shepard est électrique lors de la scène du désert de sel et plus encore lorsqu'il confronte son ennemi au bivouac.


Shepard a beau dominé le film, son principal partenaire à l'écran n'est pas étouffé par son ombre pour autant. J'ai toujours vu Noriega très bon dans tous ses rôles, mais cette fois il m'a vraiment bluffé. Il véhicule énormément de sympathie ainsi qu'une certaine naïveté enfantine, une fraicheur qui après des débuts rocailleux lui valent l'amitié de Butch/Blackthorn. Leur alchimie est très bonne, elle m'a rappelé Thunderbolt et Lightfoot dans le road-movie du même nom, de Michael Cimino, mais sans que Shepard soit aussi taciturne que Clint Eastwood ni Noriega aussi joyeux luron que Jeff Bridges, ce qui aurait nui au côté sérieux du film et en aurait fait un buddy-western, alors qu'il s'agit bien d'un portrait d'un homme à la croisée des chemins alors qu'il se croyait au bout de la piste. Eduardo rappelle à la fois Butch et Sundance à Mr Blackthorne, ce qui renforce leur amitié et rend le twist final plus douloureux encore.


Stephen Rea n'a que quelques scènes mais il se les approprie complètement. Lui aussi est partagé entre la nostalgie de sa jeunesse passée à poursuivre le gang mythique et un désir d'exorciser ses démons. Le choix effectué par son personnage en fin de film aurait pu tomber comme un cheveu sur la soupe si le jeu exquis de Rea n'avait pas permis d'apprécier les tourments de l'agent de la Pinkerton devenu alcoolique. Les scènes de dialogues entre Shepard et Rea sont merveilleuses de mélancholie.


La filmographie de Mateo Gil est relativement limitée, mais c'est à se demander pourquoi ! J'ai trouvé le film extrêmement bien rhythmé malgré une lenteur délibérée qui aurait pu me perdre en cours de route. C'est une course-poursuite sans feux d'artifice, très linéaire mais articulée comme une danse entre ses personnages et leurs propres démons. La composition de Gil tient de la fresque ; voilà un réalisateur qui sait filmer la nature, et plus encore l'homme dans la nature ! C'est un art qui se perd ; j'y ai retrouvé du Werner Herzog d'Aguirre, der Zorn Gottes". Muy bien, Senor Gil !


Je ne vais pas spoiler la fin, mais elle est d'une ambiguité inattendue et rafraichissante : happy ending pour les uns, unhappy pour les autres, et somme toute incertaine pour tout le monde ! Le propos se rapproche incontestablement d'Unforgiven, mais moins sentencieux. Sans doute parce que Gil n'est pas un Américain parlant d'un autre Américain en Amérique, mais un Espagnol parlant d'étrangers en Bolivie. De par les interactions souvent maladroites et empreintes de méfiance entre ces derniers, et de par la variété et la richesse des décors, il transmet les doutes et les fluctuations qui les accompagné toutes leur vie durant. Comme dans Aguirre, la recherche de l'El Dorado est toujours d'actualité, mais pas question de tourner en rond dans une jungle ou un désert sans fin. Le rêve est peut-être là, quelque part, mais il leur faudra chercher dans la nature mais aussi leur nature pour le trouver.


Pour finir, ce film m'a donné envie de visiter la Bolivie ; de pays dont je ne savais rien, elle est devenue ma destination rêvée Nr 1 en Amérique latine ! Mais avant cela, je vais peut-être d'abord revisionner ce chef d'oeuvre de western modern, crépusculaire et contemplative, chose que je recommande à absolument tout le monde !


(PS : pour le titre, j'ai choisi de faire référence à la ressemblance frappante entre Shepard barbu et Hemingway vieillissant - c'était ça ou "Le vieil homme et la mer sans eau" ou "Butch Cassidy and Sunset film")

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le 2 nov. 2018

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Szalinowski

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