Je suis sorti de la salle un peu perplexe, opposant notamment la simplicité de l'histoire et les grandes réussites formelles et sensitives du film, qui n’est pas du genre à se livrer facilement. Les heures qui suivent produisent des nœuds au cerveau: c'est en général très bon signe.
Quelques jours passent, et ce ne sont pas les défauts qui reviennent en tête, bien au contraire : il m’apparaît désormais comme une évidence que ce Blade Runner 2049 est un excellent cru.


Un film de Denis Villeneuve
La grande réussite de Denis Villeneuve, c'est d'avoir fait avant tout un film de Denis Villeneuve, avec sa propre histoire - ses thèmes, son univers, son esthétique: une identité propre. Tout ceci est par ailleurs parfaitement compatible avec ce qu'avait apporté Ridley Scott dans son premier opus. C’est l’avantage d’avoir confié le projet à un auteur qui n’avait rien à prouver.
L'autre grande réussite du réalisateur canadien, c'est que Blade Runner 2049 est un bon film, une bonne suite, voire plus encore. Ça n'est pas un énième demi-reboot ou une suite en forme de rappel opportuniste, développant sous un autre angle la même chose.
Alors c'est sûr que l'histoire est assez simple, mais pose une somme importante de questionnements sur l'identité des protagonistes, sur l'humanité, l'empathie.


Un film limpide et questionnant
Ces questions sont évidemment des thèmes chers à K. Dick – que n’abordait finalement que peu le premier métrage, on va ici un cran plus loin. L'humanité "100% non synthétique" est montrée réduite à portion congrue, de sorte à ce qu'on vive un univers d'apartheid synthétique plutôt qu'un nouveau questionnement sur l'âme.
Ces questions sont posées par quasi chacun des protagonistes, qui les nuancent selon leurs natures, leur histoire, leurs connaissances... Et cette quête de compréhension se fait sous la forme d'une quête d'identité pour le réplicant/Blade Runner « K » (Ryan Gosling), chargé de d'une mission dont il se fait rapidement une affaire toute personnelle, sorte d’extension logique de son apprentissage sentimental largement évoqué dans le film, autour de sa compagne IA qui génère certains des plus belles scènes de 2049.


Au dernier tiers du film, cette quête d'identité est partagée par Rick Deckard, qui insuffle ce qu'il faut de nihilisme et de désespoir pour donner une belle nuance au questionnement de K.
Vous l'aurez compris, Villeneuve fait bien mieux que le Blade Runner 2 de Jeter qui n'était qu'une habile excroissance du film de Ridely Scott. Mais même s’il est un peu métaphysique et cérébral, BR2049 n'est pas trop cryptique. Contrairement à « 2001 », je pense que le film livre toutes les clefs pour dénouer et comprendre toute l'intrigue. Il y a des ouvertures mais pas (trop) de zones d'ombre, quand 2001 est parfaitement livré à l'interprétation ou les sensations de chacun. Le film est parsemé d’objets et symboles (l’arsenal fétichiste va des armes, aux Spinners, une fleur, un « container d’âme », un cheval de bois, des yeux, des logos et formes en néon…) qui servent de repères au spectateur, que ce soit dans le récit ou pour les rescapés du film de 1982 dont ils sont presque le seul rebond narratif…


Roger Deakins et ses copains
… ce qu’est aussi une partie de l'univers visuel du film, qui reprend le centre de L.A. largement étendu par ce nouveau périple. L’appartement de K est très central, le lieu où se développent les intrigues, et on nous fait voyager jusqu’à la périphérie de Los Angeles, une vision incroyable de la côte, des paysages de désolation. Tout ceci est bluffant (et 185M$ de budget n’est pas une garantie, c’est un potentiel, ici accompli). Les décors font parfaitement réels et « normaux », grandioses et froids. Visuellement c'est incroyable, la photographie de Roger Deakins y est évidemment pour beaucoup, mais tout le département technique est à féliciter, notamment pour ces magnifiques maquettes dont on reparlera sans doute lors des Oscars.


De la nuance
Puisqu'il faut bien modérer cet avis plus que positif, je ferais dans la liste de Prévert pour ce qui a moins marché:
- les acteurs.
Jared Letto c'est pas possible, heureusement qu'il n'apparaît pas beaucoup. Harrison Ford en a rien à foutre - limite il a dit "OK mais on tourne chez moi, entre 14 et 18h et pas plus d'une semaine". Ryan Gosling est vraiment à fond et très impliqué. Tant qu'il reste contenu ça fonctionne bien mais on sent les limites de l'acteur tout de même, notamment lors de ses colères.
- Tous les personnages sont intéressants et nuancés, sauf le personnage de Luv, qui est une terminatrice sans aucune ambiguité.
- Je suis moins convaincu par l'amorce de rebéllion "Matrix reloaded like", qui n'a - par grand bonheur - pas vraiment de développement. J'éspère qu'une éventuelle suite ne se basera pas sur cet axe qui me semble bourrin et pas essentiel.
- L'affiche est très laide. Mais cette années nous n'avons pas été gâté, tout n'étant que composite photoshop en pyramidal avec une surcharge en personnages, en orange ou rouge (coucou "Les derniers Jedi". Je n'aime pas du tout.
- La musique fonctionne bien quand elle se fait discrète, mais il n'y a aucun thème et ça devient de la grosse merde assez régulièrement (les bruits de moto ou d'hydroglisseurs, là...) Hans Zimmer c'est devenu plus possible, il faut que quelqu'un l'arrête. Il s'en sort un peu mieux que pour Dunkirk ou Dark Knight Rises, notamment parce qu'il a le cahier des charges "faire quand même athmosphérique un peu à la Vangelis". Je vais pas me plaindre outre-mesure parce que la bande-son reste en retrait et est souvent adaptée (au mieux) On n'est pas passé loin d'un drame.
- C'est long. 2h40. Le film prend son temps et aurai pu faire une bonne vingtaine de minutes de moins sans souffrir d'un sur-rythme et sans perdre de sa superbe.


Elle avait les yeux verts
J'ai désormais envie de le revoir, avec une bonne tisane. C'était quand même foutrement bien, je pense pour le moment une des plus grandes sensations ciné de l'année.
J’ai également envie de voir ce que le réalisateur canadien, désormais très attendu, fera du « Dune » qu’on lui a confié.


L'histoire le dira, mais il est possible que ce soit un peu plus qu'un excellent film et une très bonne suite, ce qu'il est au minimum.

benkb
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le 2 nov. 2017

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benkb

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