Effet très étrange : beaucoup de bien, de très bien dit sur ce film ; on le regarde et on se sent tout étrange parce que ça ne ressemble ni à ce qu'on espérait, ni à ce qu'on craignait. Mais il reste, au point qu'on le regarde une deuxième fois, et même une troisième... Alors qu'est-ce qu'il a de si bien ?


Spoilers.


Outre un tas de trucs fascinants (le rapport à la nature par exemple, qui n'est plus qu'éléments bruts isolés, comme dans un cauchemar cartésien où l'eau n'est que du H2O, une molécule qui se traîne encore dans les rues), le film raconte en creux cette incroyable quête pour la réparation.


Mieux : l'obsession de l'humanité pour une réparation toujours manquée et à refaire, un mécanisme psychologique de réparation des relations brisées, des situations ratées, des éléments détruits, de la corruption, bref, de tout.


Vous savez, c'est comme les gens à qui on pardonne tout parce qu'on a peur de briser le lien avec eux, ou qu'on espère le guérir. Blade Runner, même combat :
- Au niveau le plus large, l'humanité s'est coupée de son rapport à la nature et n'a plus qu'un substitut artificiel pour vivre. Elle vit dans cette envie de repartir de zéro avec son environnement en colonisant d'autres mondes (9 déjà!).
- Au niveau social, l'humanité s'est coupée de l'authenticité du lien, s'est dotée d'esclaves réplicants pour assouvir ses désirs (de sexe, par exemple, mais aussi d'ordre en la personne des Blade Runner ou autres policiers). Elle vit avec des femmes artificielles, holographiques, des "fantômes domestiques" (domestic ghost) comme l'écrit Nabokov dans le livre de chevet de l'agent K, que sa compagne virtuelle déteste et ne veut pas lire, en étant elle-même un. Dans ce livre Nabokov donne la parole à un homme ayant survécu à un arrêt cardiaque et qui dit "notre problème n'est pas que nos rêves sont trop ambitieux, mais bien qu'ils ressemblent à des fantômes domestiques de ce que nous avons déjà". L'humanité s'est construite une société de fantômes qui comblent les vides d'un désir étranger à lui-même, toujours déçu car sans ambition d'existence.



  • Au niveau individuel, psychologique, l'agent K croit un moment pouvoir s'engager tout entier dans cette quête de réparation, de pouvoir rétablit une vérité, un vrai lien unique, persuadé d'être un enfant né d'une mère avec de vrais souvenirs, et qu'il lui faut maintenant réparer ce qui a été brisé (sa famille, sa vie).

  • Deckard est lui aussi confronté à cette tentation lorsque Wallace lui lance à la figure une réplique de la réplicante Rachael, celle par qui tout est arrivé. Deckard contemple ce vertige de la promesse d'une réparation, d'un reset, d'un retour à zéro, et doit y renoncer.



  • Même Joshi, la cheffe de police qui veut maintenir la division du monde, rêve de revenir à un monde où les séparations, les ségrégations, étaient claires. Elle sait pourtant que tout se corrode, les hiérarchies sociales comme le reste, et assiste à son monde se débattant tel la nature ayant été réduite à un amas de molécules sans âme.


Bref : tout est volonté de réparation dans l'univers de Blade Runner, et bien entendu le geste ultime de K est bien celui-là.


Il répare une famille brisée, dont il sait qu'il n'est pas, finalement, un membre. L'ironie de ce monde est bien sûr que l'enfant au centre de tout est celui qui donne leurs rêves et souvenirs aux réplicants, alors qu'elle est elle-même un enfant de réplicant. Elle est une première réparation, à l'injustice faite aux réplicants, mais elle est aussi une chose brisée, au code génétique fragile, enfermée, isolée.


Le film glisse sur cette vague de la réparation comme peu d'autres et montre encore une fois la maturité de Villeneuve qui s'approprie des univers et des thèmes avec un sens consommé de l'enjeu.


Je vais le revoir encore quelques fois.

IIILazarusIII
9
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le 9 mars 2018

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4 j'aime

IIILazarusIII

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