En 1967, les citoyens de la minorité catholique d'Irlande du Nord aspirent à des droits égaux à ceux de la majorité protestante, c'est-à-dire la fin du "business vote" (un propriétaire protestant avait droit à plusieurs voix dans les suffrages), le redécoupage des circonscriptions électorales très défavorables aux quartiers catholiques, le droit à l'embauche et au logement dans un contexte de discriminations sectaristes importantes, la dissolution de la police d'Ulster à écrasante majorité protestante, et la fin des détentions arbitraires permises par le Special Powers Act et renforcées par le gouvernement d'Edward Heath. Ils s'organisent alors, à la manière de ce qui a été fait par les Noirs américains quelques années plus tôt, en comité pour les droits civiques (NICRA). A leurs revendications, la population protestante et la police qui lui est acquise répondent par la répression et la violence des milices qui se constituées en 1966 (Ulster Volunteer Force), 1971 (Ulster Defence Association) et les barbouzeries de l'UFF et du MI-5. C'est le début d'une spirale de violence qui durera 40 ans et sera poliment appelée les "Troubles" d'Irlande du Nord. C'est dans ce contexte qu'une marche pacifique est organisée par la NICRA à Londonderry en ce 30 janvier 1972. Il est prévu qu'elle fasse le tour du ghetto catholique du Bogside, l'accès au centre-ville étant fermé par des barrages tenus par l'armée britannique, déployée exceptionnellement à la place de la police civile. En appui de ces militaires, une compagnie de paras particulièrement motivée à l'idée d'en découdre avec les "voyous". En face, une foule dont les éléments les plus chauds sortiront du cortège officiel pour caillasser les barrages et les blindés perçus comme une provocation. Les ingrédients du drame sont réunis. Dans l'après-midi, les paras chauffés à blanc traversent un des barrages et commencent à tirer sur la foule. On dénombrera 14 morts et autant de blessés chez les manifestants.

Vous savez ce qui s'est passé aujourd'hui... Alors accordez vos versions ! On a reçu 10 ou 20 coups de feu, et on a riposté par 3 fois.

D'un rythme très soutenu de bout en bout, avec quantités d'artifices utilisés par Paul Greengrass : fondus, caméra portée, plans séquences intenses. Le film culmine en tension lorsque les paras pètent les plombs et franchissent le barrage, tirant indistinctement sur tout ce qui s'offre à eux, dans un travail particulièrement immersif. Tous les points de vue sont exposés dans ce film qui revêt par moments des allures de documentaire, bien que le travail reste évidemment à charge pour le commandement britannique de l'opération et notamment son rôle dans la dissimulation des bavures commises par le 1 PARA sur des civils non armés. Des faits qui ne seront reconnus qu'une trentaine d'année plus tard, après la sortie du film. Alors un film partisan ? Pas tout à fait. Le carnage a été suffisamment grave et passé sous silence pour qu'un réalisateur porte courageusement les faits à la connaissance d'un public plus large.

On ne pourra reprocher à Greengrass son traitement resserré sur la seule journée du 30 janvier 1972 sans offrir de cours magistral sur un conflit qui a duré quarante ans dans sa dernière phase (1969-2010s) et dont chaque Européen devrait avoir un minimum de connaissances. Au-delà de la bande à Bono qui avait déjà porté la voix des victimes, trop rares sont les prises de position sur ce conflit et en particulier sur cette tragédie. C'est chose à moitié réparée grâce à Greengrass.




Yushima
8
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le 21 avr. 2024

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Yushima

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