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Boléro
5.5
Boléro

Film de Anne Fontaine (2024)

En matière de musique, je suis ce qu'on appelle un béotien. Je n'en connais que ce qui est porté souvent par hasard à mes oreilles, je ne pratique aucun instrument, je ne nourris de passion pour aucun genre, pas davantage de détestation d'ailleurs, même si j'ai quelques préférences cependant.

Je sais que j'aime quand mon oreille se dresse et probablement, que je n'ai pas aimé quand j'oublie aussitôt et que les sonorités entendues retournent à leur statut de bruit de fond.

Le Boléro de Maurice Ravel serait joué une fois tous les quarts d'heure quelque part dans le monde, sous sa forme d'origine ou en version adaptée. Un morceau de musique qui dure 16 minutes, joué toutes les 15 minutes...il est difficile par conséquent de lui échapper et il est donc probable que chacun de nous l'ait entendu au moins une fois dans sa vie. Sans jamais le reconnaître vraiment , comme ces inconnus que nous côtoyons dans la rue, un commerce ou tout autre lieu ouvert au public et que nous avons un jour l'impression d'avoir toujours connus.

Je l'ai rencontré un soir au début des années 80, interprété par un orchestre que Karl Kremer/Daniel Olbrychski dirigeait et que Sarah/ Géraldine Chaplin vocalisait. Je l'ai vu dansé par Sergeï/Jorge Donn sur l'esplanade du Palais de Chaillot sur une inoubliable chorégraphie de Maurice Béjart. C'était le bouquet final, l'apothéose du film  Les Uns et les Autres de Claude Lelouch dont le titre en anglais était d'ailleurs Bolero.

Depuis ce soir-là,  je sais que cette musique lancinante jusqu'à l'envoûtement est le Boléro et que c'est Maurice Ravel qui en est le compositeur ; ce même soir, j'ai découvert ce que peut être la danse dont je ne devinais même pas la puissance émotionnelle auparavant. Ce soir encore, j'ai compris que musique, danse et cinéma pouvaient s'unir pour le meilleur.

Boléro d'Anne Fontaine est tour à tour une rencontre avec Maurice Ravel et une approche de ces moments à la fois troubles, intenses et inattendus qui entourent souvent la création artistique.

Béotien je suis, béotien je reste, mais c'est non sans surprise que je découvre que Maurice Ravel s'était imprégné des cliquetis, claquements et frottements mécaniques des machines de l'industrie, non pas pour leurs sonorités mais pour leur incessante répétitivité tant auditive que visuelle. L'ostinato rythmique de son « Boléro » en est un reflet possible, que le compositeur intensifie sans cesse pendant plus de 15 minutes sur les 16 que dure l'oeuvre. Le Boléro est donc à la fois description et quintessence et c'est sans doute cela qui en fait la force.

Je n'ai pas d'opinion particulière sur les qualités ou les défauts du film qu'Anne Fontaine consacre au Boléro et à Maurice Ravel. Je sais cependant avoir appris et compris deux ou trois choses autour de la création d'une œuvre musicale, qui m'était plus familière que je ne le pensais. Je retiens surtout l'effet de curiosité qu'il a déclenché en moi et les fils qu'il m'a aussitôt invité à tirer.

Une fois de plus un film a joué un rôle de déclencheur me conduisant non pas à ce que certains pourraient prendre pour de simples digressions, mais à modifier sans cesse les focales de mon attention.

La chorégraphie du Boléro par Maurice Béjart dans le film de Claude Lelouch m'a conduit très naturellement à resserrer mon champ de vision sur le travail effectué par Anne Fontaine. De cette approche de Maurice Ravel, je suis arrivé de manière presque inattendue à un autre film qui traite de la peinture et dont Lech Majewski est l'auteur. Dans Brueghel , le moulin et la croix, Majewski donne corps et âme à une douzaine de personnages parmi les centaines qui peuplent le tableau Le portement de la croix de Pieter Brueghel l'ancien. Source et sens qui se rejoignent, en quelque sorte.

Au delà des imperfections qu'un film peut avoir, je sais qu'il a touché son but quand il me conduit à ce mouvement de va et vient qui consiste à modifier continuellement la focale et à serrer et desserrer sans cesse le cadrage. Comme à d'autres moments et en d'autres circonstances, il nous amène à nous décentrer de nos préoccupations les plus prégnantes. Pour moi, c'est en cela qu'il y a une magie du cinéma et que réside peut-être la clé de son immense succès.

Bolero d'Anne Fontaine ne distrait pas mais immerge en un plan serré autour d'un compositeur et d'une de ses œuvres. J'ai trouvé dans son film un immense plaisir.

Freddy-Klein
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le 9 mars 2024

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Freddy Klein

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