Maman devait vivre mieux, maman mérite un empire

Après de longues années à réfléchir sur ce film, après plusieurs difficultés de production pour son précédent métrage Tu mérites un amour, Hafsia Herzi fut propulsée par Cannes et sa semaine de la critique en 2019 en présentant ce dernier. Cette année, 2021, le film dont elle rêvait et celui qui nous intéresse aujourd'hui, Bonne Mère, bénéficie d'une présence et d'un prix dans la sélection Un certain regard, toujours à Cannes. Désormais les galères semblent finies et surtout l'ex actrice a pu commencer sa carrière de réalisatrice avec deux bons et beaux films. En effet lorsque j'ai vu Tu mérites un amour dans le cadre d'un festival, le titre et le synopsis ne m'intéressaient pas à première vue mais je suis ressorti de la salle surpris et totalement convaincu: cette quête d'amour sincère et touchante (sûrement inspirée d'À nos amours de Maurice Pialat) ponctuée d'un humour efficace et portée par la rayonnance d'Hafsia elle-même m'avait fait passer un bon moment, au point de vouloir voir Bonne Mère au cinéma. Mais il faut dire que ce dernier m'inquiétait tout de même, cette histoire de mère de famille vivant dans la misère, ça m'intéresse peut-être moins que la quête d'amour... Et encore une fois j'ai eu tort, enfin d'un autre côté j'ai eu raison car j'en ressors une fois de plus surpris et totalement convaincu.



Légers spoils



Malgré un sujet sérieux et grave, Hafsia Herzi, à l'instar de son personnage principal, n'hésite pas à attendrir son film avec quelques touches d'humour bienvenues. Je trouve que l'humour de la réalisatrice a un certain charme, je m'étais fait la remarque pour son premier long-métrage et ça se confirme ici. Elle ne cherche pas les mimiques d'un De Funes ou les répliques percutantes d'un Audiard, elle se contente de dialogues naturels (incluant un langage familier voire vulgaire), de situations banales du quotidien et des acteurs qui savent communiquer leur bonne humeur pour qu'on rigole avec les personnages. À la limite elle se sert de la caractérisation des personnages mais à vrai dire je ne vois qu'un personnage dans ce cas: le fils mythomane un peu flemmard. En dehors de ça elle réussit simplement à nous impliquer dans les discussions pour qu'on ait l'impression d'être en train de discuter avec ses amis avec lesquels on rit pour tout et rien.


En dépit de cet humour, la cinéaste sait quand il faut être sérieux et le film aborde un sujet important, il est d'ailleurs pour moi difficilement attaquable sur les thèmes abordés. Hafsia Herzi nous conte le quotidien de cette (grand)-mère de famille nombreuse vivant dans la misère qui doit survivre entre son travail, les tâches ménagères, les enfants (dont un en prison) et petits-enfants. Le film démarre par de longs travellings suivant le trajet nocturne de cette femme pour aller travailler, un procédé qui nous permet de nous rendre compte de la distance, du caractère pénible du travail tout en présentant le personnage principal et donner directement un sentiment de proximité. Ce qui nous attache davantage à Nora, en plus de la voir subir tant de choses qu'elle ne mérite pas, c'est de découvrir son extrême générosité à travers un dialogue: au début elle dit ne pas manger parce qu'elle n'a pas faim et 10 minutes plus tard on apprend qu'elle a des problèmes de dentition depuis 15 ans et qu'elle n'a jamais pu les réparer à cause du manque d'argent. Puis même plus tard on voit qu'elle préfère dépenser de l'argent pour un avocat qui libérera son fils. Sa générosité est toujours montrée, la metteuse en scène n'insiste jamais là dessus en disant directement qu'elle est généreuse. Un autre exemple c'est le moment où elle donne de l'eau et du pain à un homme en mauvaise santé qui n'attend plus que la mort, il est vrai que pour le coup elle le fait sous les directives d'une voyante mais on comprend que ce n'est pas la première ni la dernière fois...et ce plan d'ensemble avec cet homme au centre et le coucher de soleil annonçant la fin de la vie, c'est puissant. De plus il est quand même très triste de voir à quel point elle garde la tête haute et ne craque jamais, la seule fois où on la voit pleurer est lors d'un plan vers la fin, face au soleil qui illumine son visage: d'une part ça la met en valeur et d'une autre ça essaie de cacher cette larme... 


Réunissant de nombreux personnages, l'œuvre réussit à les rendre tous attachants, soit en leur offrant une sous-intrigue soit grâce à la mise en scène. Cette sous-intrigue en question qui concerne une des filles de Nora est drôle tellement ça paraît improbable et en même temps elle nous fait prendre conscience de la misère de l'environnement, on attend la chute avec une certaine angoisse et elle est effectivement assez dure. Cet environnement d'ailleurs Hafsia le connaît très bien puisqu'elle y a grandi et ça se voit. Si c'est un endroit propice au renforcement des liens familiaux, c'est également un endroit fortement touché par la misère, qui guide les actes de nos personnages. Ces liens sont montrés par de très beaux gros plans sur les visages et une caméra toujours proche des personnages, c'était déjà une mise en scène efficace dans Tu mérites un amour et ça l'est toujours ici. La misère quant à elle est montrée avec des plans finaux teintés d'une certaine amertume, des plans larges sur des bâtiments délabrés, presque en ruine. Cela dit je regrette que Hafsia ne se soit pas mise en scène dans l'environnement qui fait partie de sa vie, ç'aurait été logique et surtout c'est une actrice géniale mais on peut quand même voir un point commun avec cette mère qui enchaîne les coups durs, elle qui a eu beaucoup de mal à produire son premier film. Autre petit point noir mais rien de grave, c'est le maquillage pas assez appuyé, je trouve quand même que sa dentition à Nora elle a pas l'air si mauvaise et le fils prisonnier manque de cernes pour quelqu'un censé être fatigué.


Enfin, le grand auditeur de rap français que je suis a été surpris et heureux d'entendre un morceau de rap au milieu et pendant le générique de fin. Quand on y réfléchit ce n'est pas si étonnant parce que Marseille c'est une ville de rap, entre IAM et la Psy 4 pour les anciens, Jul et SCH pour les nouveaux, la ville a su s'imposer dans cette culture. Le morceau en question est interprété par une femme, et j'ai l'impression qu'il y a une inspiration de Diam's au niveau de l'intonation et le son fait old school si on fait abstraction du refrain autotuné. Ce morceau c'est une sorte de résumé du film, logique donc de le retrouver au générique de fin...sauf que cette fois-ci on prend le point de vue d'une fille qui fait un hommage à sa mère, car il est important de rappeler qu'il faut soutenir ce genre de femmes, encore plus quand c'est notre mère.


Hafsia Herzi a donc réussi à me convaincre pour la deuxième fois. C'est beau, touchant, on rit et on est triste avec les personnages, la réalisatrice crée une vraie empathie pour eux. Elle sait capter des moments de vie, en ressort donc un aspect documentaire, appuyé par l'utilisation de lumière naturelle et d'acteurs non-professionnels. Puis voilà je me suis laissé emporter, je suivrai désormais sa carrière de réalisatrice avec attention, en espérant qu'elle continue sans problèmes.
(les plus perspicaces auront remarqué que les premières lettres de chaque paragraphe, hors intro conclusion, mises côte à côte forment "mère")

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le 9 août 2021

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