Bruegel se veut tableau vivant, en tant qu'on devine chez Majewski la pratique d'une contemplation apaisée, avec cette surprise sans cesse rejouée du tressaillement d'une mèche de cheveu ou d'un tissu d'un personnage. Cette beauté là, qui a avoir avec celle dont se délecte l'historien d'art, heureux de caresser un moment de vie perdu dans le temps, auquel il est parvenu à rendre toute son authenticité par sa longue recherche et son imprégnation du contexte de la scène, qui se fait vivante à son esprit et s'anime sous ses yeux, suffit à elle-même. Et pose donc la question cruelle de la nécessité de faire un film à cette seule fin.

La première scène, lent travelling parcourant la peinture animée, suffirait donc à illustrer le propos. Pourtant, Majewski rajoute : Rutger Hauer d'abord. Un acteur donc, et pas un des moindres qui doit incarner Bruegel. Et même si la bande annonce a semblé centrer l'intérêt du film autour du peintre présent dans son propre tableau, et modifiant ses points de vue à volonté, comme toute bande annonce qui ne respecte pas le film, on ne verra que très peu le peintre à l'oeuvre, sinon, ses mains, qui ne feront que repasser sur les contours d'un croquis achevé. Cette scène semble plutôt, là encore, servir l'amateur d'histoire de l'art, en lui expliquant, assez pauvrement, les axes principaux qui constituent l'oeuvre.

La déception globale qu'inspire ce film tient aux ambitions finalement peu en phase avec le médium cinéma. Car si le cinéma, c'est aussi la faculté de transformer n'importe quoi en personnage, les personnages eux-mêmes en sont réduits à de la figuration et de l'illustration. Quelques plans de Charlotte Rampling semblent contredire le tout cependant. Le reste s'apparente plutôt à une expérience, voire une performance, en phase avec l'art contemporain, ce qui place le réalisateur dans une posture contradictoire *1 . Etonnant est de constater qu'en voulant donner vie aux personnages du tableau, ils ne demeurent que de simples figures sans aucune incarnation. Et toute la partie censée donner corps au personnage, et pouvant être appelée scénario, s'essouffle et meurt à petit feu.

*1 :Lors de son passage à l'ABC toulousain, Majewski s'était entretenu avec le public sur son dédain pour l'art contemporain en général, qui ne suscitait aucun intérêt pour lui...
lilioutchka
4
Écrit par

Créée

le 17 févr. 2012

Critique lue 736 fois

6 j'aime

lilioutchka

Écrit par

Critique lue 736 fois

6

D'autres avis sur Bruegel, le moulin et la croix

Bruegel, le moulin et la croix
Sergent_Pepper
7

Glances with wolves

On connait la propension du cinéma à revenir aux sources de l’image picturale : la photographie, par son travail sur la lumière et la couleur, prend comme modèle les premières représentations de...

le 9 mai 2017

19 j'aime

3

Bruegel, le moulin et la croix
Kalimera
8

Critique de Bruegel, le moulin et la croix par Kalimera

J'ai toujours été fascinée par les peintres flamands et comme cela tombe bien, les Bruegel père et fils sont mes préférés. Contrairement aux peintres Italiens de la même époque, pas de "Crucifixion "...

le 11 janv. 2012

19 j'aime

20

Bruegel, le moulin et la croix
SlashersHouse
9

Comment animer une toile ?

La toile de Bruegel, Le Portement de Croix, a toujours interrogé les amateurs d'art, car cette scène mettant en scène le portement de croix, le minimise, celui-ci étant réduit à un petit personnage...

le 10 déc. 2011

10 j'aime

1

Du même critique

Bruegel, le moulin et la croix
lilioutchka
4

Tableau vivant, lettre morte.

Bruegel se veut tableau vivant, en tant qu'on devine chez Majewski la pratique d'une contemplation apaisée, avec cette surprise sans cesse rejouée du tressaillement d'une mèche de cheveu ou d'un...

le 17 févr. 2012

6 j'aime

L'Horloge
lilioutchka
9

Romance chronométrée

/ Suspendre le temps, pour commencer à s'aimer / Tout commence avec le talon cassé d'Alice, qu'elle perd au bas d'un escalator. Comme une aiguille cassée, première perte qui sonne l'arrêt d'un temps,...

le 24 févr. 2012

1 j'aime

Shame
lilioutchka
6

La chair est triste

Flesh: C'est dans un New-York fait d'arrières plans bleu gris visibles derrière des vitres d'appartements, d'hôtels, de restaurants, de bars et de métros, qu'évolue Brandon, trentenaire séduisant et...

le 16 févr. 2012