Henry, portrait d'un parfait loser.

Maintes fois humilié, par son patron, sa femme autant que par son meilleur ami, Henry Creedlow est un cadre publicitaire invisible et usé, cumulant les heures supplémentaires chez Bruiser, agence d’un magazine de mode, afin de payer les travaux restants de sa grande maison.


C’est un banal yuppie, échappé d’un livre de Bret Easton Ellis (on pense à American Psycho) mais débarrassé de toute pulsion, sexuelle ou violente, dont il se repait uniquement dans ses divers fantasmes, de meurtre ou de suicide : Un inconnu se tue à la radio au début mais ça pourrait évidemment être lui. Il est le reflet de cet inconnu, son reflet passif, sans action. Et ce n’est guère en rêvant de tuer sa femme ou une inconnue récalcitrante sur un quai de gare que quelque chose changera : Henry se meurt de l’intérieur. Ne réagit plus quand son boss étale volontiers ses goûts de chiotte en matière de visage pour la couverture hebdomadaire, ne bouge pas d’un pouce lorsqu’il surprend sa femme en train de masturber son patron lors d’une barbecue party.


Un matin, après avoir effectué son traditionnel rituel préparatif accompagnant son réveil (une séquence miroir de la scène d’ouverture dans laquelle les plans évoquant la routine quotidienne du personnage, annihilent déjà son visage et son entièreté, en ne cadrant que certaines parties de son corps) Henry découvre qu’il n’a plus de visage. Ou plutôt qu’un masque blanc, sans expression, le recouvre. Si blanc, si triste, si simpliste, qu’il semble révéler directement sa morne personnalité, dans la continuité de ces masques confectionnés par sa collègue (et ex-femme de son boss) qui reflètent, dit-elle, l’hôte qui les arbore. Henry n’existait déjà pas beaucoup, il n’a dorénavant même plus d’identité.


Si le masque blanc en question évoque moins celui d’Halloween, de Carpenter que celui des Yeux sans visage, de Franju ou Hollow man, de Paul Verhoeven, Bruiser évoque plutôt un autre film de Romero : Incident de parcours, dans lequel un singe permettait au héros d’accomplir ses désirs refoulés. Le masque dans Bruiser permettra à Henry de libérer ce refoulement qui lui colle à la peau, en transformant sa personnalité inanimée en monstre de révolte vengeresse.


Bruiser est sorti le 13 février 2000 au Canada avant d’être présenté hors compétition au Festival du film fantastique de Gérardmer en 2001 et de sortir discrètement sur nos écrans durant l’été 2002. Pour nombreux d’entre-nous il s’agit donc de la découverte d’une ressortie méconnue et tardive du réalisateur de La nuit des morts-vivants. Bruiser signe son retour huit ans après son adaptation dispensable de La part des ténèbres, de Stephen King. Sous ses allures de téléfilm de luxe, un poil chaotique, c’est un retour discret mais passionnant, tant Creedlow sans son masque blanc immaculé, n’est finalement pas si éloigné des morts-vivants des grands films du cinéastes des zombies.


La mise en scène de Romero m’a semblé plus en retrait, plus transparente, comme si elle se calait sur son personnage, avant sa métamorphose et son équipée meurtrière. Il eut fallu que la forme le suive jusqu’au bout : On en voit l’ébauche dans ce dernier quart foutraque, qui lorgne vers Tobe Hooper (pour reprendre les mots de Jean-Baptiste Thoret) à moins qu’il ne prépare le cinéma plus carnavalesque d’un Rob Zombie. Toutefois, le glissement m’a semblé bien sage.


Jason Flemying a peu à défendre tant il est en sous-jeu permanent accentué par le fait qu’il soit affublé d’un masque blanc durant une grande partie du film. Tandis que Peter Stormare se situe lui à l’opposé du spectre interprétatif, en roue libre, totalement cocaïné, jouant l’excentricité avec un art douteux du cabotinage. Il est probable que l’écart entre ces deux prestations fasse partie des choses qui déséquilibrent complètement le film, loin d’être inintéressant pour autant : Mineur ou pas, on est toujours fasciné par la découverte tardive d’un film oublié d’un cinéaste aussi génial que George Romero.

JanosValuska
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le 29 mars 2023

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