Buñuel après l’Âge d’or
6.7
Buñuel après l’Âge d’or

Long-métrage d'animation de Salvador Simó (2019)

L'hommage est un exercice difficile. En soit il faut savoir retranscrire une singularité qui nous a touché et rendre l'amour que l'on porte pour celle-ci accessible, mais de l'autre côté, si l'on veut une œuvre originale, il faut imprégner notre œuvre de cette singularité. Lorsque cette singularité divise et polarise les débats, la tâche est d'autant plus hardu. Luis Bunuel est un réalisateur important dans le cinéma, et l'idée de faire un film d'animation sur le tournage de son documentaire Terre sans pain, était vraiment une bonne idée. Si le réalisateur a un amour inconditionnel pour le film de Bunuel, l'amour qui s'en dégage pourra être retranscription à l'écran. Est ce que c'est une réussite ? C'est très compliqué.

Il est vrai qu'on sent un véritable amour et une fascination pour Bunuel qui fait que l'on accroche et on est fasciné en retour. Le montrant sous tous les angles, montrant pas un plan sans le voir ou même voir son travail. La réalisation est irréprochable et a un sens. On alterne entre image animé, où on cherche à créer quelque chose de cartoon et animé mais on essaye au mieux de se rapprocher du réelle, et image réelle tiré de Terre sans pain, en prise de vue réelle. Cela crée une bulle poétique et abstraite où l'on voit une interprétation ou des souvenirs de ce qui s'est passé, une volonté d'imaginer au plus près ce qui s'est passé. On veut reconstruire tout un village qu'on va voir plusieurs fois afin que l'on en comprenne l'architecture et que l'on croit en la reconstitution de ce village et insuffler une part documentaire dans ce film, un peu à la manière qu'a Bunuel de traiter Terre sans pain (on y reviendra après). De par son aspect et de par son approche, on a une volonté de faire comme Bunuel, de marcher dans ses pas afin de faire un film rendant hommage à son travail, mais en produisant un film qui aura digérer la façon de faire de Bunuel, et non une simple retranscription de comment s'est déroulé le film.

Mais j'ai deux problèmes avec le film. D'une part, on nous introduit mal la situation de base et le sujet même du documentaire. Bunuel reçoit le travail d'un scénariste qu'il va essayer d'amener au bout, mais à aucun moment on ne fixe de barrière à ce que doit faire Bunuel, et pourquoi il doit les faire. Ce qui fait que l'on suit Bunuel de manière assez perdu en se demandant pourquoi il filme ce qu'il filme, pourquoi cette fête de village ? Pourquoi ils prennent la voiture ? Où est ce qu'ils vont ? Enfin, cela ne nous crée pas de barrière sur ce qui est tolérable ou non, et l'on vient à traiter de mon plus gros problème vis-à-vis du film. Le film pose un débat ultra casse gueule qui a été déjà évoqué par Cannibal Collocaust, à savoir les limites que l'on a vis-à-vis de la liberté artistique et de la libre diffusion d'image au nom de l'art ou de la documentation. Le côté flou et non définit du documentaire fait que l'on suit, bon gré malgré, Bunuel à travers son documentaire qu'il film comme il l'entend, et qui sur certains points, amènent des images problématiques. Terre sans pain a été victime de censures, d'une part par rapport aux positions du producteur qui a financé le film, mais aussi par rapport aux images qui ont choqués le public en salle, si bien qu'une deuxième version censuré a du être nécessaire afin de permettre la sortie du film en salle. Mon soucis que l'amour que porte le réalisateur sur Bunuel et son travail obscurcie son objectivité et empêche le recul nécessaire pour pleinement traiter les images du documentaire sans déraper. Le documentaire se compose de deux types d'images. D'une part des scènes de la communauté Estrémadure, de l'autre des scènes plus chorégraphiés où l'on a des scènes faites pour choquer et déranger le spectateur en rapport avec la situation sur place. Si l'on suit de manière fasciné les parti purement de la communauté Estrémadure, les scènes mis en scènes par Bunuel font poser des questions sur leurs utilités, leurs intérêt, mais aussi et surtout leurs légitimités. Est ce que l'on peut vraiment tout montrer au cinéma ? Est ce que l'on peut tout se permettre ? Moi je pense que non. Je pense que beaucoup vont être en désaccord avec moi et mon opinion sur Bunuel après l'âge d'or car chacun fixe ses limites dans le domaine de l'acceptation d'image choque, et pour ce qui me concerne, le film joue beaucoup sur la ligne rouge et dépasse les limites le temps d'une scène qui sait se rétablir, mais qui n'empêche que le film franchit la limite. Pour expliquer ce qui se passe dans Terre sans pain, les scènes "chorégraphiés" sont des scènes crées par Bunuel en mettant en scènes différentes scènes violentes qui vont monter crescendo au fur et à mesure que le film avance. Bunuel va d'abord demander à un fermier de décapiter un coq à main nu après que lui même ait essayé de décapiter le coq de ses propre main, sans succès. Ensuite, Bunuel va abattre deux chèvres du haut d'une montagne afin de voir comment elle dévale la pente et s'écrase en bas de la montage. Enfin, Bunuel va acheter un âne et un certain nombre de ruche à un fermier de passage afin de tuer l'âne en le recouvrant de miel, et en le laissant mourir d'agonie sous les piqures d'abeille. Le tout est montré sans retenu, et en faisant des zooms, parfois malsain, sur un animal à l'agonie qui meurt devant la caméra. Bunuel après l'âge d'or ne remet à aucun moment ces images. Il y a bien la scène de l'âne où Bunuel est remis en question, mais durant l'intégralité du film, Bunuel est montré comme un génie et un réalisateur exceptionnel et maitre de sa pellicule alors qu'il torture et tue des vrais animaux, sans que l'utilité ou le rendu soit justifié dans le contexte du documentaire. On peut dire que le film indique que le film a eut du succès et qu'il invite à voir Terre sans pain, mais à aucun moment le film condamne de manière clair et affiché les différentes maltraitances animales qu'exerce son héros sur les différents animaux du documentaire. Je trouve ça dangereux, surtout que l'on parle d'un film d'animation documentaire pouvant tombé entre les mains d'enfant, de par les dessins, le ton même du film, et le côté documentaire. Le film met le spectateur devant des images qu'il n'a pas nécessairement envi de regarder, que l'on doit pas nécessairement regarder, et à aucun ces images ont une justification artistique ou même documentaire. Bunuel a tourné ces images, et alors ? On peut pas en tirer quelque chose ? Le film indique que le film a été censuré à cause de l'attachement qu'avait le producteur du film avec l'idéologie communiste, mais plus que ça, le film a été censuré pour son contenu violent. Est ce qu'on peut montrer les fruits de ce qu'a proposé Bunuel ? On nous montre que la fin et le succès qu'il a eut à la fin de son film mais à aucun moment on ne met en scène cette censure mis à part un carton informatif de fin de film. Ce qui me dérange, c'est que l'on ne met pas assez Bunuel face à ses actes, et que l'on nous dit que malgré quelques embrouilles avec le producteur, Bunuel a fait que de bonnes choses sur le tournage de Terre sans pain et qu'il avait raison de faire ce qu'il a fait. C'est faux et c'est extrêmement dommage de proposer un propos et une vision de la chose aussi cartésienne et sans recul alors que l'on a une réalisation et une écriture qui marche et qui est très bonne. La scène de la mort du bébé est très forte mais ne suscite pas le dégout et la gêne (de manière négative) tout en restant pertinent et fort, ce qui montre que l'on aurait pu montrer ces différentes scènes problématiques en les travaillant, en les contextualisant, en les remettant en question. Le manque de position est en soit une position, et ce n'est pas pour moi la meilleur attitude à adopter. C'est dommage en vu de la qualité propre du film. Faites attention avant de voir le film, sur certaines il faut s'accrocher, mais dans l'ensemble c'est un film assez intéressant et fascinant qui nous apprend beaucoup de chose sur Bunuel et sur la situation d'une parti de l'espagne à l'époque.


9,25/20


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Youdidi
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le 11 oct. 2021

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Youdidi

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