Neil Jordan ne s'était plus penché sur les suceurs de sang depuis son sublime Entretien avec un vampire, il y a presque vingt ans . Avant d'annoncer son adaptation d'une pièce de Moira Buffini sobrement intitulée A Vampire's tale.
Retitrée Byzantium, l'histoire de Buffini compte le périple de deux jeunes femmes de 200 berges se faisant passer pour des soeurs alors qu'elles sont en réalité mères et filles. Poursuivies par une mystérieuse confrérie aux forts relents misogynes, elles échouent dans une petite ville, station balnéaire décrépite, et s'installent bientôt dans un hôtel désaffecté, le Byzantium.


Avec Entretien avec un vampire, Neil Jordan nous parlait surtout de la perte de l'innocence et de l'appréhension du temps qui passe. Deux thématiques que l'on retrouve à nouveau dans Byzantium.
Empreint d'une sensibilité toute particulière, son récit épouse les réminiscences du passé des deux protagonistes, éclairant le spectateur sur le lien qui les lie, leur parcours et les raisons qui les poussent à fuir.
Il dresse ainsi les portraits de deux femmes aux tempéraments différents. Tout comme Louis dans Entretien avec un vampire, Eleanor est renfermée, prostrée dans sa solitude et la culpabilité de son état, là où sa mère Camilla, charmeuse, épicurienne et manipulatrice comme pouvait l'être Lestat, semble vivre sans complexe sa condition inhumaine. A la différence que Camilla reste malgré tout une mère soucieuse de sa fille.


Jordan met donc l'emphase sur cette relation conflictuelle entre mère et fille, empreint d'un désir de révolte et d'émancipation. Une relation un rien compliquée si l'on prend en compte le temps qu'elles sont restées dépendantes l'une de l'autre et leur jeunesse trompeuse et confondante.
C'est dans ce lien mère-fille impossible à situer tant leur apparence leur donne presque un âge similaire, et dans cette contradiction des apparences, que Jordan confond dans un premier temps les spectateurs. De même qu'il jouait de l'ambiguïté d'une femme-enfant dans Entretien avec un vampire, Jordan s'appuie à nouveau dans Byzantium sur cet âge figé du vampire, ce physique immuable qui ne reflète en rien la maturité morale de ses personnages.
Alors que Camilla nous apparaît comme une jeune trentenaire dont la beauté scandaleuse fait tourner toutes les têtes, sa fille, Eleanor, est contrainte de traverser le temps prisonnière d'une adolescence qui n'est plus depuis longtemps. D'une beauté froide et mystérieuse, vampire compatissante incapable de prendre une vie sans l'assentiment de sa proie, Eleanor semble vouloir s'émanciper coûte que coûte de sa mère en livrant leur histoire. Ce que Camilla condamne radicalement en tuant systématiquement de sang froid ceux qui en savent trop.
C'est par le biais du récit enchâssé que le scénario nous compte alors le parcours de ces deux sublimes vampires. C'est d'abord Eleanor qui parle et raconte leur vie humaine avant d'introduire un troisième narrateur en la personne de l'énigmatique Darvell (Sam Riley), puis Camilla apporte un point final au récit de leurs origines.


Le scénario prend soin d'éviter la plupart des clichés classiques inhérents au mythe vampirique (pieux, gousses d'ail, crucifix, méchants coups de soleil) pour n'en garder que quelques-uns et se consacrer ainsi à une intrigue sans réelle ligne directrice mais dont le moteur narratif (celui de la nécessité pour un être éternel de se raconter), le même que celui d'Entretien avec un vampire, permet une agréable alternance des époques et des lieux et de mieux comprendre les mystères et les enjeux qui englobent les personnages.
C'est donc dans cette recherche perpétuelle de la confession et par extension dans la quête d'une âme soeur, quête entravée par l'amour étouffant et l'inquiétude d'une mère pour sa fille, que l'intrigue prend tout son sens. L'immortalité ne peut être un remède à long terme pour ceux qui se condamnent à une éternelle solitude.
Quant à leurs énigmatiques poursuivants, ils symbolisent les fantômes archaïques d'une pensée machiste que l'on souhaiterait révolue, où la femme ne pouvait prétendre accéder au même statut que l'homme.


D'un point de vue formel, c'est somptueux. Jordan va à contre-courant des canons gothiques en magnifiant ses séquences nocturnes par l'utilisation contradictoire de couleurs parfois flamboyantes jurant avec l'obscurité urbaine. Ici, la beauté froide de Saoirse Ronan (Eleanor), cagoulée d'un chaperon rouge (clignant de l'oeil à La Compagnie des loups, autre film de Neil Jordan), semble déambuler le long des rues et des couloirs des hospices comme un ange de la mort apportant la paix à ceux qui veulent être libérés de leur fardeau. Camilla, elle, prédatrice plus classique et donc plus sanglante, pleine d'une vitalité trompeuse, hante les trottoirs et les couloirs de bordels et se révèle au fil du temps, une femme impitoyable prête à tout pour préserver sa fille.
Les scènes de jour ne sont pas en reste. Sur des promenades le long de la plage et au fil du temps, nos deux héroïnes promènent leur regard, leur spleen et leurs souvenirs dans une grisaille quotidienne et immuable. Chargé de cet air marin que l'on flaire en imagination, les scènes diurnes épousent les contours d'un rêve de solitude et donnent un sentiment d'éternité.


Nous noterons quelques élans gores du plus bel effet (le sang écarlate contribue à l'esthétisme de certaines séquences), lesquels ponctuent de leur surprenante et fugace violence un récit pourtant loin des débordements d'horreurs graphiques promis par son sujet.


A l'aune de toutes ces qualités, il est alors dommage que Jordan ne précipite son récit dans un climax bancal et une résolution un peu trop prévisible. Le rythme de son film s'en voit bouleversé, tout autant que sa cohérence, lorsque le personnage de Darvell s'impose comme un deus ex machina tellement évident qu'il saccage le mystère de la poursuite englobant le récit qui a précédé.
Mais après toute la poésie dont le réalisateur aura su imprégner sa pellicule, on sera tenté de faire preuve d'indulgence devant cette conclusion un rien trop hâtive. D'autant que Neil Jordan avec cette oeuvre a su à nouveau tirer vers le haut un mythe depuis longtemps ridiculisé par les vampires scintillants de Twilight. Certes, on est loin de la puissance émotionnelle et romantique d'Entretien avec un vampire, mais Byzantium par son scénario intriguant, par ses personnages ambivalents et par son esthétique classieuse, reste bel et bien le meilleur film de vampires que l'on ait vu depuis Morse.

Buddy_Noone
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le 27 mai 2014

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