Si La giornata balorda s’inscrit dans la lignée du néo-réalisme italien avec en toile de fond l’omniprésente misère matérielle (faim, chômage, promiscuité, logement précaire, manque d’hygiène, …), celle-ci lui sert de prétexte pour s’engager dans une réflexion sur la sexualité problématique, engendrant des enfants malvenus et contraignant à une prostitution, évidente comme avec cette prostituée du bord de route, plus dissimulée comme avec l’ancienne petite amie de Davide (qui n’est pas simplement manucure) ou encore plus subtile lorsque Davide couche avec la riche Freja avant de recevoir de l’argent de celle-ci.

Le regard sur la sexualité, moderne pour l’époque, inspiré par Moravia et surtout par un Pasolini provocateur, a valu une dizaine de coupures au montage par la censure de l’époque en raison de scènes trop osées pour une Italie catholique et puritaine (même ainsi, le fim a été interdit en salle aux moins de 16 ans). Selon Moravia, la condamnation pour immoralité du film de Bolognini n’est qu’un manque d’autocritique de la part de la classe dirigeante, fermant les yeux sur la situation économique d’alors, principalement le chômage, source d’aliénation des corps. Or, il faut avouer que le scénario mise volontairement sur l’érotisme pour séduire et provoquer le public à travers d’un côté la sensualité de Lea Massari ou de Jeanne Valérie, de l’autre le physique de playboy de Jean Sorel (assez peu crédible d’ailleurs en pauvre chômeur) qui a sûrement dû faire tourner de l’œil Pasolini.

Quoiqu’il en soit, les scénaristes insufflent un pessimisme social, qui n’est qu’une forme masquée du déterminisme, et qui n’a comme solution que l’aide et la bonté des plus riches, discours résolument marxiste. En effet, à travers l’errance de Davide dans cette drôle de journée, commençant dans les pleurs et les reproches et finissant dans une promesse certaine de bonheur, le miracle s’opère grâce à la justice sociale. Cependant, le happy end ne dissimule pas la gravité du regard sur une situation à de nombreuses égards dramatiques.

Malgré quelques faiblesses dans le rythme, cette folle journée commence par un incipit d'une rare beauté formelle, avec un long plan séquence d'environ trois minutes dans un immeuble de type logement social, avec plusieurs résidents regardant par les balcons et les vêtements suspendus pour sécher, sur les notes de la partition musicale de Piero Piccioni, entrecoupées d'un dialogue entre un éboueur et un habitant du coin, puis nous emporte au hasard des rencontres dans une plongée dans l’absurdité bureaucratique et le cynisme d’un système aux mains des puissants, avec ci-et-là des aperçus de la misère quotidienne, avant que la rencontre salvatrice avec Freja ne vienne atténuer la vision froide et inquiète.

7,5/10


Marlon_B
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le 17 févr. 2023

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