Cannibal
5.5
Cannibal

Film de Marian Dora (2006)

Hideux du désir, hideux esthétique

L'histoire de Armin Meiwes a beaucoup inspiré, pour le pire et on attend toujours le meilleur. Il s'agit de cet homme qui a dévoré un volontaire recruté sur internet, en filmant l'interaction puis les restes. En 2006 ce fait divers sensationnel est traduit sur grand écran en deux versions : aux États-Unis, Confessions d'un cannibale, de Martin Weisz, réalisateur du remake de La colline 2 ; et en Allemagne, Cannibal de Marian Dora. C'est encore sans compter le Diary of the cannibal de Ulli Lommel, qui trouvait le projet de Dora bien trop violent et a préféré peaufiner une série B quelconque.

Si Cannibal est un si mauvais film, ce n'est pas parce qu'il est glauque à un point insensé. C'est sa vocation naturelle et si elle peut poser problème à quelqu'un, peu importe. Le malaise c'est que Cannibal est pire que sordide, il est dégueulasse et son délire romantique en souffre énormément.

Que viennent faire ici ces gros plans sur les personnages – mais peut-on encore parler de gros plans lorsque la caméra nous colle à leurs pores ? Pourquoi Marian Dora les répète-t-il à ce point, par exemple en se focalisant sur le crâne de Armin lorsqu'il se trouve derrière un ordinateur ? Parlons aussi de cette succession de face-à-face où les interlocuteurs de Armin prennent la fuite. À nous les asséner de la sorte, Dora crée quasiment (et involontairement) un bêtisier de râteaux en rafale, sinon le tableau de chasse d'un troll musclé.

Ensuite, même si c'est un détail, Armin et son délicieux compagnon ne sont pas des apollon, ce sont de vieux garçons mal soignés et sans grâce. Les lieux n'ont rien de glamour évidemment, mais rien de raffiné non plus, en dépit des abondantes vagues de fumée. Tout ça se déroule ''à sec'', dans des endroits moches et bordéliques. C'est miteux plus que morbide. Tout ce fatras et ces espèces de Salad Fingers homosexuels et tarés aurait pu être signé par un Buttgereitt s'essayant au romantisme cafardeux (qui y aurait mis une couche de pessimisme).

La matière principale du film de Dora c'est la répugnance et donc les bruits de bouche, les reniflements, les corps visqueux. Toutes leurs pratiques sont hideuses. Somme toute, la survenue du pénis bouffé n'est que dans la continuité de cette dégueulasserie générale. L'acte clé, parce qu'il est hors-norme et surviendra fatalement, ne repousse pas tant. Cette aspiration à la fusion charnelle au dernier degré a peu de sens, mais que le chemin soit tapissé par de splendides séquences de pétanque la bite au vent ou de sodomie animale n'était ni nécessaire ni une super idée.

Comme on était en droit de l'espérer, il y a quelques éclats d'une étrange beauté : ce ne sont pas les plus évidents ou attendus. Je retiens en effet les passages du début dans la ville de Rottenburg, le balayage des maisons traditionnelles et le travelling surprise. Pour le reste, il faut admettre la tenue presque décente de certaines scènes où Armin attend son prince dans la nature ; leur ''poésie'' ne touche pas mais l'intention est accomplie. Idem pour le petit enrobage à la Lucio Fulci, avec une introduction et une conclusion où une mère raconte l'histoire de Hansel et Gretel à son fils. Les ambiances sont caricaturales et sans puissance, mais très travaillées, notamment en ce qui concerne les éclairages.

Enfin, la seule séquence véritablement valable sans relever de la balade touristique est... la mise à mort, dans un éclairage verdâtre et sur une musique lugubre, lointaine et vaguement merveilleuse. Un élément parfait dans cette imagerie surtout préoccupé par les détails qui puent, d'ailleurs la séance de désossage n'a rien à envier à Guinea Pig 2. Qui lui au moins faisait sentir la passion dérangée en développant une esthétique assortie, pas seulement putride.

Récapitulons : ce n'est pas un film mais plutôt une tribune de l'hideux : l'hideux du désir et l'hideux esthétique, donc. C'est réalisé de manière emphatique mais sans goût, avec une imagerie glauque lorgnant vers le Z. C'est immonde en soi. Sans allez jusqu'à bouder ce Cannibal, en tout cas si on est un cinéphile insatiable, il faut savoir reconnaître que c'est un conte raté et pénible à tous les niveaux.

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le 15 mars 2014

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Zogarok

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