La science-fiction au cinéma obtient rarement l’assentiment des amateurs du genre dans sa forme littéraire, parce que cette dernière privilégie les idées et les émotions au spectaculaire et aux effets spéciaux qui caractérisent les productions du domaine sur le grand écran. Du reste, et au contraire de ce que peuvent penser certains intellectuels à l’élitisme mal placé, la pléthore d’effets spéciaux au cinéma reste loin d’être un phénomène récent : Georges Méliès, déjà, à la lisière du XIXe et du XXe siècle, laissait une place prépondérante aux trucages dans ses réalisations. Depuis le phénomène n’a fait que s’accroitre pour commencer à dessiner une courbe exponentielle avec Star Wars, le récent Avatar n’étant qu’une autre étape de ce processus qui s’avérera certainement aussi éphémère que toutes celles qui l’ont précédée.


Pour autant, le commerce entre la science-fiction et les images est plus insidieux qu’il peut y paraître. Les spécialistes de la science-fiction se sont longtemps demandé si ce genre était une littérature d’idées ou bien une littérature d’images, avant de parvenir à la conclusion – peut-être un peu commode – qu’il s’agissait d’une littérature se servant des images pour faire passer des idées, ou du moins les illustrer. Après tout, il vaut mieux une bonne image que mille mots, comme dirait l’autre : d’où la prépondérance des effets spéciaux dans les paysages urbains expressionnistes de Metropolis (Fritz Lang, 1927) ou bien les océans interplanétaires époustouflants de 2001, l’Odyssée de l’espace (Stanley Kubrick, 1968) ou encore la cité décadente et rouillée de Blade Runner (Ridley Scott, 1982). Du reste, ce commerce ne concerne pas que le cinéma, la BD ou les descriptions étoffant les récits écrits (1) puisque les premiers magazines exclusivement destinés à la science-fiction arboraient de façon presque systématique des dessins de couverture où le spectaculaire l’emportait le plus souvent sur le littéraire : il faut bien vendre après tout, et puis ce type de magazines – qu’on appelait pulps – n’avaient à l’époque aucunes prétentions intellectuelles.


Ce qui me permet d’en arriver à Capitaine Sky et le Monde de demain, puisque les pulps entièrement dédiés à la science-fiction se répandirent aux États-Unis durant les années 30 ; hors c’est précisément l’époque où se situe l’action de ce film. Ceci non plus n’est pas un hasard car c’est la décennie pendant laquelle Hollywood produisit le plus de serials, ces court-métrages réalisés à la manière de feuilletons et qui étaient projetés dans les salles de cinéma en première partie d’un ou deux long-métrages aux budgets plus conséquents : c’était là un excellent moyen de réduire les coûts de production à une époque où les conséquences de la crise de 29 se faisaient encore durement sentir, tout en fidélisant les spectateurs à travers des scénarios à suivre s’achevant en cliffhangers. Si la recette s’inspire directement des comics de la même époque, elle emprunte aussi à ces derniers leurs thèmes et leurs sujets, ainsi que leurs licences parfois – voilà comment Superman et Flash Gordon, entre beaucoup d’autres, arrivèrent dans les salles obscures pour la première fois… Ce qui fait qu’en dépit de leur fréquent statut de productions cultes auprès d’un public actuel mais averti, ces serials étaient en règle générale considérés comme du « mauvais » cinéma ; somme toute, il ne s’agissait jamais que des ancêtres des actuels films d’action ou d’aventure, ou encore de… science-fiction.


Capitaine Sky et le Monde de demain se veut de toute évidence un hommage à ces serials : par l’époque où il situe l’action du récit pour commencer ; par la technique de narration, ensuite, qui va de péripéties en rebondissements et retournements de situation entrecoupés de scènes d’action plus ou moins musclées ; par le scénario lui-même, enfin, qui est à peine plus sophistiqué que le synopsis accompagnant cette fiche et qui repose à la fois sur des personnages complètement clichés mais aussi une absence totale de propos doublée d’une simplicité tout à fait manichéenne ; et puis bien sûr – surtout – par ses images…


Ce qui fait la particularité de ce film, et son seul véritable intérêt au final, ce sont ses visuels – totalement dénués d’idées au demeurant et qui, du coup, ne présentent aucune des qualités qu’on attribue aux images de la science-fiction – car ses visuels sont une parfaite retranscription du style serial de l’époque, sans aucune forme de modernisation dans leur forme, mais réalisés avec des moyens techniques actuels. Tous les designs des objets, véhicules, robots et autres machines, fantastiques ou non, tous les éléments visuels de Capitaine Sky… ne sont qu’un prétexte pour retourner trois-quarts de siècle en arrière, à l’époque où les effets spéciaux étaient fabriqués en carton et animés avec des bouts de ficelles et des étincelles ; sauf qu’ici les engins sont modélisés en 3D, animés par des virtuoses et incrustés grâce à toutes les dernières technologies de compositing.


Si les rééditions de vieux comics tels que Flash Gordon (Alex Raymond, 1933) ou Buck Rogers (Philip Francis Nowlan, 1928) ont habité votre enfance, le résultat est tout simplement magique : avec leurs écrous apparents, leurs articulations grossières, leurs formes improbables, leurs appendices inutiles, leurs faisceaux de rayons concentriques, leurs gadgets ridicules, et j’en oublie, toutes les machines de Capitaine Sky… exhalent ce charme suranné et à nul autre pareil de cet antan toujours plus beau à chaque jour nouveau. La photographie même du film – à base de plans sombres, de tons sépias et de contrastes vifs – est elle aussi en parfaite adéquation avec ces serials de l’époque filmés à la va-vite en un temps où les caméras étaient bien moins sensibles aux subtilités de la lumière qu’elles le sont de nos jours.


Ne cherchez pas dans Capitaine Sky… du grand cinéma mais du cinéma tout court : plus qu’un spectacle, c’est un voyage dans le temps ; plus qu’un film, c’est une résurrection ; plus qu’un divertissement, c’est la preuve que même les œuvres damnées d’une époque troublée ne meurent jamais tout à fait sans laisser de postérité.


(1) descriptions qui ne concernaient pas que des éléments visuels mais aussi, souvent, des théories ou principes techno-scientifiques en donnant ainsi au lecteur la possibilité de s’en faire une représentation – c’est-à-dire une image – au travers de laquelle l’auteur du récit pouvait lui transmettre son idée, ou bien lui permettre d’échafauder ses propres idées en stimulant son imagination grâce à la force esthétique et émotionnelle convoyée par ladite représentation ; sur ce dernier point, voir l’article de Gérard Klein, « Astronomie et science-fiction : un ciel d’encre » (Ciel & Espace Hors-série « Science-fiction : l’autre façon d’explorer l’univers », juillet-aout 2006).


Récompenses :



  • Saturn Award pour les meilleurs costumes, 2005.

  • Sierra Award, 2005, et PFCS Award, 2004, pour les meilleurs effets spéciaux.

  • nominé au prix Hugo, catégorie Best Dramatic Presentation – Long Form, 2005.

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le 31 juil. 2011

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