Casablanca (1942) faisait partie de cette liste de grands classiques du cinéma que je n'avais jamais vu, c'est désormais lacune réparée et avec grand plaisir.


Dans l'histoire du cinéma, rare sont les films qui ont atteint un tel niveau de notoriété, une telle unanimité quant à leurs qualités intrinsèques et une aura indiscutable de film culte, j'ajouterai même tant d'apports à la culture populaire, un seul exemple à ce propos, la réplique "Play It Again Sam" qui est devenue le nom d'un des plus important distributeur de disques indépendant plus connu sous son acronyme "PIAS". Néanmoins pour comprendre en 2022 l'impact et les nombreuses qualités du film il est indispensable de faire un petit exercice de pensée et d'appréhender cette œuvre comme étant datée de 1942 et que la regarder avec le regard d'un spectateur d'aujourd'hui, avec le regard critique d'un cinéma actuel avec ses évolutions techniques peut risquer de vous faire passer à côté de ce joyau du cinéma hollywoodien.


Une fois acceptée l'idée que la mise en scène répond aux critères esthétiques et critiques de l'époque, une fois compris le fait que les effets spéciaux et les décors de studio obéissent aux impératifs techniques de l'époque et vont sembler vite dépassés et même issus d'une vision fantasmée de l'Afrique du nord et de la ville de Casablanca en particulier, on est prêts pour un grand spectacle.


Rick Blaine est un américain qui comme son pays alors est dans l'attente d'une décision d'intervention dans le drame mondial qui se joue alors, mais à l'instar de son pays d'origine les Etats Unis, il choisit déjà d'aider de façon détournée ceux pour qui il considère devoir se mouiller. Toutefois sa position de patron du night-club le plus couru de la ville, l'oblige à rester discret sur ses activités, notamment celle de fournir les fameux visas aux infortunés échoués dans cette ville devenue par la force des choses cosmopolite, bigarrée, lieu de tous les trafics, de toutes les corruptions, tout en déployant des trésors de diplomatie face aux représentants et de l'Allemagne Nazie et de la France collaboratrice. Mais Rick Blaine s'il parait aux premiers abords revenu de tout, blasé, se révèle rapidement dévoré par une grande mélancolie et si sous des aspects d'absolue virilité à l'idée de ce que ce concept intégrait en 1942, sa fragilité transparait rapidement aux yeux du spectateur. Sans doute l'un des rôles les plus troubles du légendaire Humphrey BOGART, un personnage fait de nuances de gris, dans une œuvre au noir, faussement manichéenne où bons et méchants voisinent, sont identifiés mais jamais clairement définis, aux contours troubles et flous, comme le suggère d'ailleurs la photographie et le cadrage, qui sans cesse jouent des noirs, des éclairages et entre les deux, une multitude de pénombres, de points de fuites, d'estompes.


On peut d'ailleurs s'interroger sur ce que Bogey a mis de lui dans ce personnage ambigu aux lumières des récentes révélations - secret de polichinelle - à propos de ses orientations homosexuelles, qu'il aurait à tout prix voulu cacher par des mariages malheureux et une image longtemps inébranlable de sex-symbol mâle à l'intention de la gent féminine, dans une Amérique et un occident alors peu enclins à accepter comme aujourd'hui ce qui était alors considéré comme une maladie, une tare, voire criminalisé ... Peut-être que je fais montre ici d'une analyse erronée à ce sujet mais ces failles sous-jacente m'ont rendu ce personnage absolument sympathique.


C'est alors que le film qui jusque-là jouait sur les ressorts du thriller politique, avec un soupçon d'espionnage ou tout du moins d'aventure dans un contexte de guerre comme élément central se mue en un film d'amour majeur, non pas une comédie mais plutôt une dramaturgie à la Corneille, lorsque réapparait son unique amour Ilsa Lund accompagnée de son mari le dissident Tchèque Victor Laszlo, par le jeu d'un subtil flash-back le spectateur comprend rapidement en quoi cette femme, qui selon moi ne rentre pas dans le cercle des femmes fatales au sens où on l'entend quand on parle de "film noir" mais plutôt comme l'incarnation d'un idéal féminin qui poussera tout homme amoureux à se dépasser, y compris au prix de sa propre fierté.

Magnifique de naturel, à la beauté pure, là encore une légende d'Hollywood incarne cette femme, qui n'a pas trahie, mais a tout simplement suivie sa conscience et fait des choix sûrement douloureux dans l'intérêt général, Ingrid BERGMAN délivre l'une de ses prestations les plus saluées et les plus importantes, l'une de celles qui à l'orée d'une immense carrière alors encore à ses prémices l'assoiront comme une icône et une star incontournable du cinéma américain.


J'ai enfin pu appréhender ce film majeur de l'histoire du cinéma américain, j'ai enfin pu ressentir les émotions positives largement partagées par celles et ceux qui avaient eu la chance de le voir avant moi, j'ai enfin pu à mon tour m'étourdir de bonheur face à ce monument, et cela confirme ma théorie qui dit qu'un film réussi ne l'est que si sa découverte même 80 ans après sa sortie ne joue pas en sa défaveur, tout comme un classique de la littérature ou de la musique ne souffrira pas d'être lu ou écouté aujourd'hui, un grand film ne souffrira pas d'être découvert longtemps après son exploitation en salle, ou sinon si les outrages du temps prennent le pas sur la qualité de l'œuvre, on est face à éventuellement un bon film, mais pas un grand film, pas un film culte.

Spectateur-Lambda
9

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le 24 oct. 2022

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