De Manoel de Oliveira, fringant centenaire, à João César Monteiro, fabuliste iconoclaste mettant en scène Jean de Dieu, double lubrique et philosophe, en passant plus récemment par João Pedro Rodrigues (O Fantasma et Odete), le cinéma portugais se singularise par une originalité et un esprit créatif indéniables. Le mélange des genres –- d’'anciens critiques deviennent scénaristes et réalisateurs - caractérise aussi la production lusitanienne. Le nouveau venu Miguel Gomes n’'échappe ainsi pas à la règle : après avoir écrit pour la presse nationale et réalisé des courts métrages, il passe au long avec en 2004 La Gueule que tu mérites, fantasmagorie poétique sur le refus d’un trentenaire à grandir. Remarqué pour son aplomb et sa maîtrise, Miguel Gomes récidive aujourd’'hui avec Ce cher mois d’'août, œœuvre pour le moins étonnante, enchevêtrant avec brio les codes du documentaire et de la fiction pour mieux nous perdre tout au long de 2h30 constituant un voyage dépaysant et inattendu, pour peu bien sûr qu’'on accepte de se laisser porter et pénétrer par cet univers protéiforme et foutraque, joyeux méli-mélo qui est aussi à sa façon une belle ode à la magie du cinéma.

Dans la municipalité d'’Arganil, région montagneuse du centre du pays, l’'été est arrivé et, avec lui, l’'afflux de touristes et le retour des autochtones partis travailler à Lisbonne, ainsi qu’'une profusion de bals, de manifestations et de processions religieuses en tous genres. Originaire du coin, Miguel Gomes choisit à dessein l’'endroit où il passa ses premières années pour y tourner une histoire d'’amour adolescente entre Tania et Helder, compliquée par l’'excessive possessivité du père de la jeune fille et par le retour en France de la famille du garçon. Avant que Ce cher mois d'’août se concentre sur les vicissitudes de cette passion fulgurante et contrariée, le film reflète d’abord les difficultés du metteur en scène à le mettre en place : choix des comédiens notamment. La première heure est donc à voir comme un reportage curieux et attachant autour des habitants et des mœurs de la région. Il y est beaucoup question d'’un certain Pedro Meunier, espèce de chien fou réputé pour sauter chaque année du pont qui surplombe la rivière traversant la bourgade avec des fortunes diverses – le garçon est depuis édenté et marche en claudiquant. On y voit de nombreux groupes musicaux se produisant dans les bals locaux qui font danser toutes les générations, réunies en journée au sein de solennelles processions dédiées à la Vierge ou à différents saints (rappelons pour mémoire que c'’est à Fátima, sur la cote occidentale, que la Vierge Marie apparut en 1917 à trois jeunes bergers).

Cette simulation de documentaire, ce pseudo making-of du film en devenir est d'’abord un espace de liberté totale dans lequel Miguel Gomes filme ce que bon lui semble. Cela produit un bric-à-brac déconcertant où on entend en voix off des témoignages sur des images sans grand rapport, où s’'enchainent de longs plans fixes. Pourtant, insidieusement, Ce cher mois d'’août glisse vers la fiction, estompant par miracle la frontière ténue entre docu et fiction. La partie fictionnelle – une bluette estivale d'’adolescents – se nourrit peu à peu des fragments entrevus dans le documentaire jusqu'’à un jubilatoire mélange des genres. Ainsi, le producteur justement inquiet s'’entretenant avec un Miguel Gomes plutôt débonnaire et fataliste endosse t-il le rôle du père jaloux au comportement très œœdipien, tout comme la jeune étudiante scrutant la montagne pour y repérer d’'éventuels départs d'’incendie devient-elle Tania. Une mise en abyme qui se poursuivra jusqu’au générique final, interrogeant par là-même notre position de spectateur.

L'’univers poétique et sans entraves, cultivant la divagation et les bifurcations, de Miguel Gomes rappelle étrangement celui du cinéaste français Jacques Rozier. Dans Ce cher mois d'’août règne la même atmosphère désopilante et ludique qui déjà imprégnait l'’œœuvre du réalisateur de Maine Océan. Loin des conventions, le cinéma prometteur de Miguel Gomes travaille sur les marges et les interlignes, prenant plaisir à construire un véritable jeu de miroirs qui égare et enchante tout à la fois celui qui accepte de le traverser. Le chaos et l’'anarchie n’'ont jamais été aussi doux et enchanteurs qu'’au travers de cette fantaisie bucolique qui magnifie la notion de vacance.
PatrickBraganti
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le 5 déc. 2012

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