L'indicible voici ce qui résume le mieux en un mot le cinéma de Kelly Reichardt. Sa filmographie parcours un long chemin escarpé qui réunit ce que le prolétariat à de moins spectaculaire, à l'antithèse de ce que le médium visuel donne aujourd'hui à voir des déshérités de la croissance économique. Elle théorise parfaitement les liens ténus qui unissent des hommes et des femmes gravissant des épreuves intimes douloureuses, en sachant capter avec une bienveillance infiniment précieuse linteriorite de personnages rugueux.
Elle tend ainsi à l'universel en creusant dans les territoires particuliers de chacun. Une autre constante de son cinéma est d'aller au rebours des habituelles tares associées aux déclassés. Qu'ils soient socialement plus ancrés dans un schéma conventionnel ou à la marge de celui-ci le mouvement fait partie intégrante de leur existence. Peu importe l'activité exercée pourvu qu'elle determine une volonté inaltérable de trouver son propre chemin. Solitaires ils sont mais luttent inexorablement contre une predetermination qui les voudraient apitoyes et contraints à quémander quelconque aide sociale. Ici des destins entrecroises se répondent sans se connaître et forment un quator féminin duquel le sort s'acharne à les victimiser coûte que coûte. Mais l'intelligence de la cinéaste suffit à créer de ce maelström indistinct une singularité forte et émouvante. Une avocate devient juge et partie d'un entrepreneur lessivé par un procès biaisé et doit constamment jouer sur un fil tendu entre compréhension sincère et raison judiciaire. Laura Dern apporte à cette dernière ambiguïté et attention avec justesse. Michelle Williams est une mère de famille contrastée, entre son apparente rusticité éducative et sa forte personnalité qui prend les décisions nécessaires au bon ordonnancement des choses. Elle est celle qui negocie un dilemme moral entre sa part plus introspective et son autorité affichée. Ces deux segments installent une veine à la lisière entre le réel documenté et la fiction scrupuleusement structurée, fabricant la durée un sentiment d'instabilité. Le troisième et dernier confirme l'impression en cela que le rapprochement et la connivence qui s'opèrent graduellement entre l'enseignante (sensible Kristen Stewart) et l'écuyère (la très belle surprise Lily Gladstone) récuse tout sentimentalisme pour s'accrocher à la naissance d'une relation particulière. La frontière est ainsi mince entre l'amitié et une envie plus engagée qui ne saurait s'avouer. L'ensemble donne un formidable kaléidoscope où les paysages traversés sont tous aussi importants que les figures qui les traversent et où la réalisation transfigure l'impression de néant que laisse entrevoir le film. Le cinéma américain indépendant à son meilleur, de celui que la frénésie médiatique auculte malheureusement la superbe réussite.

Créée

le 2 mars 2017

Critique lue 1.1K fois

9 j'aime

Critique lue 1.1K fois

9

D'autres avis sur Certaines femmes

Certaines femmes
Frédéric_Perrinot
5

La tranquillité du quotidien

Kelly Reichardt s’est, depuis quelques années déjà, imposée comme une portraitiste de talent notamment pour exprimer avec une rare délicatesse l’intime et le mal être de ses personnages. Composant un...

le 22 févr. 2017

13 j'aime

1

Certaines femmes
CableHogue
7

Rails et sortie de route

« Les films avancent comme des trains, tu comprends ? Comme des trains dans la nuit » (François Truffaut) Déclinaison diurne et volontiers alanguie de la formule restée célèbre de La...

le 4 févr. 2017

11 j'aime

2

Certaines femmes
Moizi
8

Seules

Certaines femmes raconte l'histoire de quatre femmes, dans trois histoires différentes (oui c'est contre-intuitif) dans une ville paumée du Montana. On change de décor, pour une fois il n'est pas...

le 21 déc. 2021

9 j'aime

Du même critique

Benedetta
Sabri_Collignon
4

Saint Paul miséricordieux

Verhoeven se voudrait insolent et grivois, il n'est au mieux que pathétique et périmé. Son mysticisme atteint des sommets de kitch dans une parabole pécheresse qui manque clairement de chaire (un...

le 13 juil. 2021

36 j'aime

Pas son genre
Sabri_Collignon
7

La Tristesse vient de la Solitude du Coeur!

Lucas Belvaux,réalisateur belge chevronné et engagé,est connu pour sa dénonciation farouche des inégalités sociales et sa propension à contester l'ordre établi.Ses chroniques dépeignent souvent des...

le 4 mai 2014

30 j'aime

14

Les Délices de Tokyo
Sabri_Collignon
8

Le Triomphe de la Modestie

Naomie Kawase est cette cinéaste japonaise déroutante qui déjoue volontairement depuis ses débuts la grammaire conventionnelle du 7ème art. Elle possède cet incroyable don d'injecter une matière...

le 11 août 2015

29 j'aime

5