Toujours émouvant, Spielberg radicalise cependant sa technique de mise en scène avec "War Horse".

Steven Spielberg sait comment s'y prendre pour émouvoir ses spectateurs, tant au visuel qu'avec le scénario. Pour "Cheval de Guerre", il radicalise cependant sa technique et nous livre un film correct, touchant, beau, quoique sans âme.

L'éternel jeune, dynamique et génial Spielberg aurait-il pris un coup de vieux? Encore maintenant, on se souvient des merveilles qu'il a pondues en matière de cinéma dégageant des émotions. "E.T.", "Rencontres du Troisième Type" et "La Liste des Schindler" ne sont que quelques exemples parmi toute une liste. Tous des films qui nous ont fait pleurer, à la fois de joie et de tristesse, grâce à une recette hollywoodo-spielbergienne sans faille et à un alliage parfait entre image, musique, scénario et personnages. Si "Cheval de Guerre" suit exactement la même logique, et cela même si l'émotion est là, la fameuse recette du réalisateur hollywoodien se voit fortement radicalisée et simplifiée. Comme si Spielberg, conscient de son talent, ne prenait plus la peine de faire d'efforts.

L'histoire de ce cheval qui passe d'un propriétaire à un autre, et qui les influence tous, pendant la Première Guerre Mondiale, est certes très touchante. Les paysages sont de toute beauté, les acteurs remplissent parfaitement leur contrat en rentrant dans leurs rôles tous fort bien décortiqués dans le scénario, l'histoire suit un schéma simple mais intelligent... Le problème n'est donc pas de ce côté là. Le contenu est excellent; le film dans son intégralité l'est moins.

La complicité qui se noue entre le cheval nommé Joey et son entraîneur Albert, fils de parents fermiers, est certes très belle mais introduite de façon trop simplette et difficile à gober. L'attachement du spectateur à Albert et Joey est garanti; la crédibilité de la scène l'est moins. Après tout, qu'Albert parle à Joey et que, ô miracle, le cheval le comprenne aussitôt et exécute ses ordres sur un fond de musique pleine d'émotions de John Williams, compositeur qui n'a plus rien à prouver de son talent, a tout de même un côté un peu trop cliché et hollywoodien.

Du côté technique, la radicalisation de la méthode spielbergienne se fait sentir également. Les images et les décors magnifiques ne sont après tout que de très belles compositions photographiques alliant une variété de couleurs pleines d'éclats et propres à renvoyer une émotion particulière chez le spectateur. Que de belles couleurs jaunes, rouges et verdoyantes lors des moments calmes ou émotionnels et que de couleurs bleues et sombres pour les instants plus tragiques. Si la méthode était introduite de façon soignée, discrète et sensée dans des films tels que "E.T.", elle prend dans "Cheval de Guerre" une dimension uniquement esthétique, matérielle et manipulatrice. Comme si le film, dans son fort intérieur, n'avait pas de coeur ni d'âme.

Cela dit, ce film pratiquement et théoriquement correct ne souffre pas que d'un "problème cardiaque" (ou d'un "manque d'âme" pour être plus clair) mais aussi d'un décalage temporel. Spielberg n'est plus tout à fait ce qu'il était et aujourd'hui, dans notre ère des blockbusters estivaux et des films sombres à la Christopher Nolan, les films calmes, enfantins et émotionnels propres à l'Hollywood des années précédentes n'est plus tout à fait au goût du jour. Le "Super 8" de J.J. Abrams (sorte de version moderne de "E.T." croisée avec "La Guerre des Mondes", produite par le même Steven Spielberg) en était la preuve. Et encore, le film était adapté à la sauce des blockbusters actuels! L'histoire et le style de "Cheval de Guerre" sont donc un peu déplacés pour notre époque.

Cela dit, on ne peut pas dire du film de Spielberg que c'est un "mauvais film" à proprement parler. Au contraire, outre le casting remarquable et le côté technique, pas mal de thèmes sont abordés dans "Cheval de Guerre", à commencer par celui de l'amitié qui lie Albert à son cheval Joey, même au moment où les deux sont séparés alors que Joey est saisi et emmené à la guerre. Ce film est également l'occasion pour Spielberg de renouer avec le sujet de la guerre, qu'il avait déjà exploité dans bien des films, comme "Il faut sauver le soldat Ryan". Alors que le récit se situe en Angleterre durant la Première Guerre Mondiale, Spielberg évite toutefois d'introduire un contexte patriotique au film de manière à nous montrer qu'il y a du bien et du mal de chaque côté.

La souffrance des chevaux pendant la guerre nous est merveilleusement bien présentée, de même que Spielberg nous offre une incroyable scène de combat dans le "No Man's Land" et les tranchées. Mais la scène la plus réussie est sans doute celle où Joey, tentant de fuir le combat en galopant à travers les tranchées, se retrouve emprisonné dans les fils barbelés du No Man's Land jusqu'à ce qu'un soldat anglais se décide à le sortir de là, aidé par un soldat ennemi allemand . Cette scène de discussion dans une atmosphère paisible entre deux personnes en principe ennemies nous livre un portrait fort constructif sur cette guerre destructrice et sans sens.

C'est au final les scènes de guerre qui nous sont le mieux présentées, avec la violence nécessaire, par Spielberg. Le cheval de guerre, quant à lui, interprété par une bonne douzaine de chevaux différents, réussit à avoir un impact émotionnel sur chacun des personnages du film, et aussi des spectateurs. Plus audacieux encore, il n'a pas besoin d'être monté par un cavalier pour que la caméra le filme. Après tout, c'est lui le personnage central du film, accompagné sans relâche par la caméra qui parvient à le mettre en avant, voire même à nous montrer le contenu de ses pensées. "Cheval de Guerre" est et restera un grand film de Spielberg, mais ne sera jamais considéré comme son meilleur film ni même comme son film le plus émouvant, vu le formatage (si je puis m'exprimer ainsi) trop mécanique de la mise-en-scène.
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le 3 août 2013

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