Par Yal Sadat

A priori Chronicle est un film suspect, à plus d'un titre. D'abord il y a le coup des superpouvoirs greffés à un portrait d'adolescent martyr, dans un télescopage du teenage movie pincé et du film de super(anti)héros. Puis il y a celui du montage menteur, composé d'images amateur de sources éparses. On chercherait le filon parfait pour appâter les 15-35 ans qu'on ne s'y prendrait pas autrement. Du séminal Projet Blair Witch à Cloverfield, de Balaguero (Rec) à Paranormal activity, l'astuce, désormais bien identifiée, consiste à lier familier et surnaturel, le premier travaillant à donner une matérialité au second. En apparence, le dispositif ici suit cette routine : Andrew, lycéen socialement awkward, filme sa maussaderie journalière, sa mère souffrante, son père alcoolo, les brimades subies dans le couloir de l'école. Et aussi son cousin Matt, jeune premier fringant qui le chaperonne de temps en temps, par solidarité familiale mais aussi parce qu'il est un peu plus profond que la moyenne (il a lu Jung). Au détour d'une soirée, un troisième lascar les entraîne au fond d'une crevasse où ils entrent en contact avec une étrange matière phosphorescente. Ils en ressortent télékinésistes aguerris, et font les quatre-cent coups sans cesser de filmer leurs prouesses.

On voit bien quel récit d'apprentissage se trame là, et la citation de Schopenhauer glissée au début du film n'a rien pour rassurer : on redoute sérieusement la dissert', qui se profile à grands renforts de distinction spinoziste puissance/pouvoir, de liberté sartrienne comme vertige, avec un détour par Dolto rayon complexe du homard - Carrie n'est pas loin. De fait, le film s'y attèle bel et bien (comment gérer le don de pulvériser le premier venu à la moindre contrariété ? Comment ne pas renaître à la réalité lorsqu'on est capable de la changer autour de soi ?). Seulement, en limitant l'action à de petits manèges juvéniles, le nouveau venu Josh Trank fixe un cadre plutôt efficace à son ambition. Indolents, ricaneurs, les jeunes types filment surtout leurs festins de chips engloutis sans les mains, et leurs jongleries hilares avec des legos ou des 4x4. Ainsi morcelé, l'éveil métaphysique échappe aux grandes explications : la renaissance des trois prodiges s'inscrit dans la continuité de leur quotidien, et ils ne formulent que rarement les dilemmes posés par leurs aptitudes. Le montage lacunaire agit comme un filtre, laissant d'abord libre cours à la fascination hébétée du trio, porté par une ivresse derrière laquelle gronde une anxiété sourde. Tout ce pouvoir les arrache sournoisement à leur condition humaine, et dans la lignée d'une foule de personnages contemporains, Andrew expérimente la peur de sa propre liberté. Dans cette simple idée réside la première réussite du film. (...)

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Chro
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le 4 avr. 2014

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