Civil War
7.1
Civil War

Film de Alex Garland (2024)

Vu comme ça, enfin vu quelques images seulement de la bande-annonce pour s’éviter tout spoil, Civil war s’annonçait comme un énième film d’action bourrin hollywoodien qui aurait amalgamé American nightmare et la trilogie nanardesque La chute avec Gerard Butler. Ça s’annonçait donc mal, même avec Alex Garland aux manettes. Sauf que Civil war n’est clairement pas un film d’action, reléguée dans les quinze dernières minutes du film en guise de clou du spectacle. Plutôt une espèce de road trip réflexif, une contemplation de notre future finitude, le récit d’un certain état du monde. D’un monde qui part en couille, observé dans les viseurs de photographes de guerre, mi-vautours en quête du cliché parfait, mi-témoins nécessaires de cet état-là.

On ne saura pas ici ce qui s’est passé, quand, comment et pourquoi. Le fait est que l’Amérique est en guerre contre elle-même (ça rappellera la guerre de Sécession, ça rappellera DMZ, ça rappellera le Capitole…). On apprendra juste que deux camps s’affrontent (en gros les forces fidèles au président vs une alliance inattendue entre la Californie et le Texas ; pour le reste, tout sera laissé flou, sciemment, si bien qu’on ne sait jamais vraiment qui tape sur la gueule de qui et dans quel but), que POTUS en est à son troisième mandat, a dégagé le FBI, bombardé des civils et dézingue à vue les journalistes. Dans ce chaos généralisé, quatre reporters font le trajet New York / Washington DC dans l’espoir d’interviewer ce président en mode dictateur dont la chute serait, dit-on, imminente.

Le panel est évidemment très (trop) représentatif : le vieux sage, la jeune recrue avide d’apprendre et de se confronter au côté obscur de l’humanité, et les deux briscards limite blasés, lassés, parce qu’ils ont couvert tant de champs de bataille, vu tant d’horreurs que plus rien ne paraît les ébranler (sauf que le retour de bâton psychologique n’est jamais loin). Écrit pendant la crise du Covid et avant l’assaut du siège du Congrès des États-Unis, Civil war n’entend pas réellement faire œuvre de politique-fiction résonnante et trébuchante (on pense à Trump, certes) ni réellement film de guerre. Mais s’interroge plutôt sur la représentation, la transmission de la barbarie des conflits armés et leurs conséquences, et la position morale (entre voyeurisme larvé, travail esthétique et légitimation essentielle, pour l’Histoire) de celles et ceux qui s’y collent.

Et puis il parle de nous aussi, hors combats et explosions. Pas besoin. Des rencontres suffisent. Avec deux snipers au cœur d’une situation absurde et sans fin ("Il veut nous buter, alors on veut le buter"). Avec des rednecks qui s’amusent à torturer des pillards depuis des jours ou des sensibles de la gâchette, des espèces de patriotes extrémistes ("Quel genre d’Américains êtes-vous ?" demandera l’un d’eux à nos héros) occupés à entretenir leur charnier avec amour. À ce stade donc, il n’est plus question de l’Amérique, et c’est davantage universel, ce serait presque ontologique. Il est question de ces pulsions de mort et de violence qui nous définissent, nous consument, nous annihilent, autant d’ailleurs chez la bande de cinglés croisée tout au long du film que chez Lee, Jessie et Joel que Garland n’épargne pas, rend accrocs à cette adrénaline du pire tels des junkies en manque de sensations fortes.

Tout ça pourrait faire un bon film, pense-t-on, une "œuvre choc" comme on dit, si Garland, et alors qu’il assure niveau mise en scène, n’avait opté pour une narration désespérément binaire alternant avec paresse scènes de tension/moments trauma et discussions lambda où l’on cherche à donner un sens à tout ça (à son métier, à sa vie, à ses peurs, à la guerre, blablabla…). Et se permettait en fin de film un faux pas scénaristique impardonnable (et puis mal filmé en plus). Bizarrement on sentait, on savait d’avance que ça allait se finir comme ça entre Lee et Jessie, y’avait une chance sur deux pour qu’on n’y coupe pas. Mais on gardait espoir, on se disait que Garland est quand même plus malin, plus exigeant que ça. Bah en fait non.

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mymp
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le 22 avr. 2024

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