J’avoue, j’avoue : en regardant la bande annonce, le style épique à la truelle et les temporalités multiples (où les trois mâts côtoient les aéronefs épurées) m’avaient vraiment rebutée et j’avais failli annuler. Mais bon, c’était le printemps du cinéma et puis j’avais aimé Matrix et Cours Lola Cours : je n’avais donc pas d’excuse valable pour ne pas voir Cloud Atlas. Et si ça se trouve, ce ne serait pas la première fois qu’une bande annonce pourrie discrédite un bon film. Une fois dans la salle : grosse surprise. Scotchée pendant 2h40 ! Révélation ! Et je suis maintenant convaincue que ce film est un chef d’œuvre !

Cloud atlas est ce genre de film total qui véhicule un message universel qui transcende les temps et les espaces, tout en emportant le spectateur dans un véritable voyage (loin, loin). La réflexion menée dans Cloud Atlas est presque philosophique et peut se résumer ainsi : "les vies que nous menons initient une chaîne de conséquences, qui dure dans le temps bien au-delà de notre mort. Chaque choix, chaque acte nouveau est occasion de changer d’orientation, de changer son destin, et par conséquent celui de l’humanité entière, s'il est vrai que toutes les vies sont liées." Autant que Matrix, ce film est marquant car il mène de front une réflexion ontologique, tout en cultivant un amour du spectacle, corollaire du cinéma. En effet, au-delà de la portée du film, on peut saluer un remarquable travail d’expérimentation cinématographique. D’étonnantes prouesses sur le maquillages et un festival effets spéciaux pour vieillir, de modifier un visage, de lui donner un type asiatique… Et puis, en matière de paysages futuristes, la représentation de la ville de Néo Séoul, capitale pressentie du monde au 22eme siècle est une réussite graphique avec ses buildings, ses engins volants, ses écrans tactiles partout, mais aussi ses bas-fonds sordides et moites, où se traîne une humanité dégradée.

6 histoires se côtoient dans le film. Dans chaque époque, il est question d’un personnage en rupture avec sa société et qui souhaite la faire évoluer. Ces personnages extraordinaires de toutes époques sont tous connectés les uns aux autres par des empreintes laissées par l'un où l'autre à tel ou tel moment (un livre, un film, une symphonie, un article de journal, des lettres...). Ce tissage de références, qui invite le spectateur à une attention de chaque instant, donne au film une grande cohésion, en dépit de l'extrême variété d’époques et de personnages qu’il propose. Pari risqué, mais pari tenu ! Ainsi, un jeune avocat devenu l’ami d’un esclave noir écrit les mémoires de sa vie, qui sont à leur tour lues par un talentueux compositeur homosexuel de l’Angleterre du début XXème. La géniale symphonie (nommée « Cloud Atlas ») qu’écrit le compositeur est écoutée par une jeune journaliste qui rédige elle-même un article qui vise à mettre au jour une machination ourdie par le lobby pétrolier pour discréditer l’énergie nucléaire…Et ainsi de suite… Bref, le film entier est parcouru de références internes qui se font écho et qui bouleversent en cascade la vie d’autres personnages à des moments cruciaux de leur existence (au moment où l’histoire de leur vie rencontre la grande Histoire). N’ayant vu le film qu’une fois, je suis sûre que seuls plusieurs visionnages permettront de mettre en évidence toutes les résonances cachées que les réalisateurs ont cachées dans le film (ou presque toutes !).

Cloud Atlas se joue sur 6 époques, comme je l’ai dit plus haut, dont 2 époques futures. La précision est de taille. Ce film est donc aussi l’occasion pour les cinéastes de nous proposer leur vision du futur. Une vision pour le moins préoccupante : une société ultratechnologique doublée d’une dictature militaire, où les individus sont maintenus dans un état d’ignorance totale par une instance floue appelée « Unanimité », autre nom de Big Brother. Les personnages vivent dans un éternel présent, coupés qu’ils sont du passé et sans projection possible vers le futur. Dans ce monde, les individus n’ont plus accès à la culture, on pense à leur place. Ainsi, l’incroyable chaîne de conséquence et d’interpénétration des grands esprits (via les œuvres) ne subsiste à cette époque que de manière très illicite et clandestine. Cependant, cette chaîne ne se rompt pas. Le personnage de Sonmi (seule survivante ayant connaissance de la vie avant la dictature) est le maillon de cette chaîne. C’est elle qui permet à la culture de ne pas sombrer complètement dans l’oubli. Elle devient le porte parole d’une armée de résistants qui luttent pour un monde meilleur.

Des scènes vraiment marquantes comme la merveilleuse séquence où les deux amants de Cambridge brisent des dizaines de pièces en porcelaine fleurie. Scène jubilatoire où se condense tout le rejet d’une société sclérosée dans ses convenances et asphyxiante d’intolérance.

Et la très belle scène où Sonmi accepte la mort, figure messianique-christique, et quasi-divine et lumineuse dans sa calme obstination.

Un film grand public mais savant, blindé de références, qui marque un grand attachement à exploiter les ressorts du cinéma à grand spectacle. Et ce, pour illustrer une cause non moins grande : la lutte pour la liberté d’expression, pour la libre circulation des œuvres culturelles, pour la conservation de la mémoire du passé, pour une presse libre, pour le progrès humain et la possibilité d’influer sur l’histoire par l’engagement politique, par le témoignage, POUR la défense des opprimés et pour plus justice ! Voilà pourquoi ce film m’a tant plu...
sushimo
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le 26 mars 2013

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